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Prochaine AG de l’association, le 21 octobre 2023
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Prochaine AG de l’association, le 21 octobre 2023

L’Assemblée générale se tiendra le 21 octobre prochain de 10 à 12 heures à la salle mise à disposition par l’ALCR, 4 rue Jacques-Louis Hénon à Lyon 4°.

Tous les membres sont conviés ainsi que toute personne désireuse de s’impliquer à nos côtés : elles sont les bienvenues. Aussi, n’hésitez pas à relayer cette invitation !

Les membres non à jour de leur cotisation seront invités à faire le nécessaire avant le début de l’assemblée : merci de venir avec chèque ou pécuniaux (adhésion 20 euros) ...

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L’ODYSSÉE DES TISSEURS LYONNAIS DE LOUIS XI A 1830
nov.
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L’ODYSSÉE DES TISSEURS LYONNAIS DE LOUIS XI A 1830

Synthèse de la conférence faite par Françoise CHAMBAUD et Bernard WARIN au cinéma Saint Denis (Lyon 4) dans le cadre de la manifestation « Novembre des Canuts »

Questions / réponses par siècle :

  • - A partir de quel moment la soie est-elle associée à la ville de Lyon ?

    La soie est présente sous forme de soieries, à l’occasion des foires qui sont installées depuis le début de ce siècle.

    - Ces foires étaient-elles importantes ?

    Oui, elles avaient lieu initialement deux fois par an et duraient six jours. Elles comptaient 5 à 6000 marchands et voyageurs pour une population estimée au début du siècle à 50 000 habitants. Louis XI va, en 1463, porter à 4 le nombre de ces foires, soit une par trimestre d’une durée de 10 jours ; elles étaient respectivement nommées la « foire des Rois », « de Pâques », « d’Août » et « de Toussaint ».

    Le roi a besoin d’une ville riche pouvant lui prêter de l’argent et veut concurrencer Genève qui s’était développée depuis l’effondrement des foires de Champagne.

    - Où avaient-elles lieu ?

    En différents endroits bien identifiés : Sur la rive droite de la Saône entre Saint Paul et Saint Jean, sur la presqu’île, rue Mercière et entre les places Confort et des Terreaux. Les rues sont spécialisées, les cuirs sont à la Grenette, la mercerie près de Saint-Nizier et la quincaillerie, place Confort, etc… Les marchandises sont présentées en boutique, sur tréteaux, ou à même le sol.

    - Quels produits y vendait-on ?

    On y vendait des matières premières comme le verre, l’acier ou le papier, et des produits manufacturés comme les draps, les futaines et autres toiles de chanvre venues de toute la France, Auvergne, Bresse, Normandie, Provence et de l’étranger, des Flandres et d’Italie.

    - Et les soieries ?

    Ce sont de magnifiques soieries d’Italie issues de Lucques, de Milan, de Florence et de Gênes. Il en est aussi d’espagnoles, importées de Valencia, Murcia et Toledo, sans oublier quelques soieries lyonnaises en étoffes unies. Toutes transitent par Lyon depuis que Charles VII a accordé dès 1450, le monopole du commerce des soieries à la ville.

    Les Italiens chassés par les guerres civiles commencent à s’installer à Lyon à la fin du quatorzième siècle. Pour eux, Lyon est bien placée pour diffuser « épices » et soieries. Originaires de Lucques et de Florence, ces grands marchands, notables et banquiers, bénéficient de la double nationalité. Ils vivent pour la plupart, dans le quartier de la Juiverie (Saint-Paul) et forment la « Toscane Française » où l’on distingue les GUADAGNI, les BONVISI, les GONDI, les CAPONI.

    - Quel mobile pousse Louis XI à intervenir à Lyon en l’an 1466 ?

    Louis XI dont le Larousse nous dit qu’il fut « l’un des plus remarquable artisan de la grandeur française » a pour la ville un projet bien arrêté, créer une manufacture royale à Lyon. Voici ce qu’il dit :

    « … Comme nous considérons la grande vidange d’or et d’argent qui se fait chaque année dans notre royaume par l’achat de draps d’or et de soie pour 500 000 écus, nous ordonnons que l’art de la fabrique de soie soit introduit dans notre ville de Lyon, où comme l’on dit, il en existe déjà un commencement…. »

    Un peu plus loin, il rajoute : « …que dix mille personnes tant de la ville que des environs, qui à présent sont oiseux, y auront honnête et profitable occupation. »

    - Comment les Lyonnais ont-ils réagi ?

    Comme on dit : « Ils n’étaient pas très chauds. » Les bourgeois et les notables craignent une remise en cause des prérogatives de leur cité qui jouit d’une charte communautaire depuis 1320, placée sous l’autorité des échevins. De plus, le roi veut lever à Lyon, un impôt de 2000 livres tournois pour couvrir les dépenses de l’installation. Enfin, l’activité commerciale avec les Italiens est florissante pour les marchands de la ville, aussi ils vont faire trainer le paiement de la taxe et vont refuser d’aider financièrement les quelques ouvriers venus s’installer. Ceux-ci « déçus dans leurs espérances, retourneront d’où ils étaient venus. »

    - Quelle fut la réaction de Louis XI face à cette attitude ?

    Il n’insiste pas et ordonne, en 1470, le transfert à Tours des ouvriers venus à Lyon et le paiement par la ville des dettes qu’ils avaient contractées envers les commerçants.

    - Que reste-t-il à Lyon ?

    Une vingtaine de tisseurs de taffetas ; des tissotiers, des passementiers et des rubantiers.

  • - Y a-t-il des éléments qui prédéterminent la ville de Lyon à accueillir une manufacture de soieries ?

    Oui, François 1er désire « peupler et augmenter Lyon qui est l’une des principales clefs et frontières du royaume ». Y créer une manufacture sera doublement préjudiciable à l’étranger, en se passant de ses soieries et en agglomérant un peuple d’artisans qui pourra devenir un peuple de soldats (rappelons que les Génois, producteurs de velours, viennent de changer d’alliance et sont devenus des ennemis). Ajoutons que Lyon est déjà une ville marchande (argent) et un important centre religieux (vêtements d’église) et que sa proximité avec l’Italie serait propice à faire venir « les soies et les ouvriers. »

    - Comment cela va-t-il se passer ?

    Le roi prend la suite des guerres d’héritage engagées par son prédécesseur Louis XII en Italie. En 1530, il engage contre Charles Quint sa huitième guerre d’Italie, alors que la ville de Gênes, jusqu’ici alliée à la France, devient son ennemie.

    - Quelles vont être les circonstances qui vont conduire à l’introduction d’une manufacture de soieries à Lyon ?

    Ce sont deux hommes qui apparaissent, un piémontais et un Gênois installés à Lyon : Etienne TURQUET et Barthélémy NARIZ : le premier, un notable naturalisé, est recteur puis trésorier de l’Aumône Générale (1535). Il exerce la profession de marchand et c’est à ce titre qu’il est associé à son compatriote Barthélémy NARIZ. Ceux-ci possèdent une boutique dans le quartier riche de la Saônerie (quai de Bondy – salle Molière) où il tient un magasin de soieries de Gênes et une boutique, contiguë, de harengerie.

    Ces deux hommes ont un projet : faire venir de Gênes des ouvriers en drap de soie pour établir à Lyon une manufacture. Ils s’adressent au consulat, soutenus par Thomas de GADAGNE dit « le magnifique » lui-même consul. Leur discours est bien argumenté et les échevins font part au roi de cette requête à l’occasion de son retour d’une expédition en Provence d’où nous dit-on « il avait chassé l’Empereur et ses forces ». François 1er convaincu par les arguments des deux entrepreneurs leur accorde par lettres patentes « ainsi qu’aux ouvriers étrangers qui viendront besogner et résider en notre ville de Lyon, avec leur femme et leurs enfants » de nombreux privilèges. « Ce sera, ajoute le roi, « un gros bien pour notre royaume et pour la ville et la totale ruine des Génois ».

    TURQUET fait venir des ouvriers de Gênes, d’Avignon et de Tours. Ils installent des ateliers de tissage, de teinture et de dévidage au niveau des fossés de la Lanterne. Au bout de trois ans, une quarantaine de métiers sont installés. La main d’oeuvre est fournie par l’Aumône générale dont on sait que TURQUET en est le recteur puis le trésorier.

    En 1540 est créée la corporation des ouvriers en draps d’or, d’argent et de soie et deux maitres-gardes sont nommés : Etienne TURQUET et Raoul VIARD. En 1540 TURQUET et NARIZ fondent la première société commerciale d’initiative privée au capital de 2000 écus (6000 livres). La fabrique lyonnaise est née. Au milieu du siècle, le consulat adresse une requête à Henri III pour obtenir un règlement ayant pour but « d’extirper les abus, malfaçons tromperies et querelles. » Celui-ci est donné au mois d’avril 1554 avec l’accord des maîtres-ouvriers et compagnons.

    - Avant d’examiner ce règlement, peut-on évaluer le nombre d’ouvriers ?

    La liste officielle des ouvriers de l’art de la soie établie par le Consulat compte exactement deux cent vingt quatre personnes : 164 veloutiers, 34 taffetatiers, 11 fileurs de soie et 15 teinturiers, chiffre que l’on peut doubler, nous dit Justin GODART, si l’on ajoute les dévideuses et les apprentis. Cette liste permettait au Consulat de délivrer aux maîtres concernés les attestations qui leur accordaient les avantages des lettres royales. Ce règlement est léger, il comporte vingt et un articles dont l’observation ne diminue en rien la liberté de chacun d’entrer dans la profession. Une distinction est faite entre maîtres et compagnons mais ces titres ne valent qu’au regard de l’habileté ou la fortune de ceux qui les obtiennent. Chacun travaille pour son compte dans sa propre boutique ou se met au service d’autrui. Quatre maîtres-gardes sont chargés de veiller à l’application du règlement et de résoudre les conflits entre les membres de la communauté. Deux sont nommés par le consulat et deux par les maîtres-ouvriers. Ils se réunissent une fois par semaine et une ordonnance consulaire plus tardive (1624) règle que chaque dimanche à la sortie de la messe à l’église des Cordeliers, « les maîtres-gardes devaient ouïr les plaintes de ceux du métier. » Justin GODART nous dit que cette juridiction des maîtres-gardes devait servir de modèle lointain au Conseil des Prudhommes. (1806)

    - Ce règlement va-t-il rester en l’état ?

    Il va être modifié par le règlement plus restrictif du 28 mars 1596. En effet, le travail n’est plus assez abondant aussi « faut-il diminuer le personnel de la communauté. » Ce règlement limite à deux le nombre d’apprentis que pourra occuper un maître plus un orphelin confié par l’Aumône Générale. La durée de l’apprentissage est fixée à cinq ans et celle du compagnonnage à trois ans. Enfin, les maîtres n’ont pas le droit de faire travailler leurs servantes (auxiliaires) sur les métiers.

    - Comment peut-on expliquer ce durcissement ?

    Tout d’abord par les troubles que connaissent la France et Lyon dès la seconde moitié du siècle : En 1562, les protestants occupent Lyon et l’année suivante la peste et la disette s’abattent sur la ville. En 1572 les massacres de protestants font écho à Lyon à ceux de la Saint-Barthélemy. Ces conflits violents seront apaisés par Henri IV qui va imposer en 1598 l’Edit de Nantes. Ensuite la crise économique résultant d’un déplacement de l’activité commerciale de la Méditerranée vers l’Atlantique va provoquer le déclin des foires. Les Lyonnais se plaignent au roi : « semblent les foires de la dite ville jadis tant célèbres, plutôt marchés de villages que foires royales… »

    - Où sont passés les habitants ?

    Ils sont partis. Lyon est passé de 50 à 30 000 habitants. Dans les temps de crise et de misère, la population ouvrière est très mobile, les apprentis et compagnons rejoignent leur région d’origine et reviennent dès que le travail reprend. Il faut dire que Lyon, ville marchande n’a jamais pu obtenir des rois, malgré de nombreuses demandes, un parlement (cour de justice) et une université. Leur crainte était que les notables n’abandonnent le commerce (et plus tard l’industrie) pour les charges.

  • Ce siècle aux trois rois, Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, est aussi un siècle de guerres : reprise de la guerre d’Espagne (1667), de Hollande et des Pays Bas (1672) guerres aux motifs religieux, d’héritage, de conquête, mais en réalité guerres économiques où les princes se partagent l’Europe et le monde. Ces guerres provoquent des disettes, du chômage et des épidémies. Des révoltes de paysans éclatent comme celle des « Croquants » (1624 et 1637).

    On l’a vu dès la fin du 16ème siècle, Lyon est une ville morte où « le peuple s’écoule. » Les imprimeurs lyonnais sont partis à Genève, les chapeliers et les ouvriers en laine ont rejoint le Piémont et le duché de Milan et les ouvriers en soie retournent à Gênes ou en Avignon.

    - Lyon est-elle encore italienne ?

    Non, Lyon l’italienne n’est plus ! Les banquiers et marchands ont quitté la ville et ne reviendront pas. Les Suisses et les Allemands arrivés un peu plus tard restent, tels les MASCRANY originaires des Grisons. Les foires ne sont plus vaillantes et le système bancaire est affaibli par la crise économique liée aux guerres civiles.

    - Cela n’est pas bon signe. Comment la Fabrique va-t-elle s’en sortir ?

    En mobilisant les trois acteurs principaux qui sont le consulat, les professionnels et l’Etat.

    1 - Le consulat installe dans la ville une série de nouvelles industries : une manufacture de tapisseries « à la manière de Bergame », une fabrique à apprêter et à teindre les bas et un atelier de tissage de velours en poil de chèvre, un autre de crêpe imité de ceux de Bologne. Quant aux treillis, camelots et futaines, ces tissus pelucheux de laine et de coton fabriqués à Lyon depuis 1570, ils vont émigrer dans le Haut Beaujolais qui va en exporter chaque année cinq cents tonnes vers l’Espagne. Nous voyons là qu’il n’y a pas que la soie à Lyon !

    2 – L’action des professionnels : ils vont améliorer leurs techniques. A ce moment, la demande est de s’émanciper des Italiens et de parvenir à confectionner, comme eux, des tissus façonnés aux armures complexes et aux décors variés. Ces tissus étaient à la mode. En réponse le Consulat lyonnais va proposer les compétences d’un maître-ouvrier fabricant veloutier d’origine milanaise, Claude DANGON, à qui il sera confié deux missions : imiter le mieux possible les étoffes italiennes et former des apprentis.

    Claude DANGON va faire venir des métiers d’Italie, dits « à la grande tire » et par tâtonnements et essais successifs, peut-être aidé de professionnels italiens, va parvenir à réaliser des étoffes façonnées à très grands rapport de dessin, à effets compliqués et à couleurs multiples qu’il montre directement au roi, lequel va le subventionner généreusement et lui donner le titre de Maître-Ouvrier du Roi. Comme convenu, Dangon forme à ses méthodes de nombreux tisseurs. Hugues MEY va découvrir le lustrage du tissu que son fils Octavio va ensuite perfectionner. Enfin HONORAT va perfectionner le système de tréfilage du lingot d’or avec l’argue, une machine dotée de filières successives qui transforment le lingot en fils de plus en plus fins.

    - Quel est le style des tissus ?

    C’est un style que l’on peut qualifier de français en ce qu’il se dégage progressivement de l’influence italienne : ce sont des étoffes à grands dessins dont la composition symétrique, autour d’un puissant motif floral, se déploie jusqu’à recouvrir presque complètement le fond. Les dessinateurs « montent » à Paris, aux Gobelins pour se former.

    - Y avait-il des étoffes unies ?

    Bien sûr, mais il faut d’abord les définir ! Ce sont des étoffes sans décor, constitué d’une armure simple comme le taffetas, le sergé et le satin, répétée uniformément sur toute la surface. Les techniciens consultés nous ont affirmé que ces tissus, contrairement à ce que l’on pouvait penser, étaient plus difficiles à réaliser que les étoffes façonnées. Ces étoffes unies étaient essentielles pour la Fabrique puisqu’elles représentaient selon les époques de 70 à 90% de la production.

    3 – Le rôle de l’Etat

    Dès le début du siècle, l’Etat va jouer un rôle actif. Tout d’abord en ce qui concerne la matière première, jusque là importée d’Italie, d’Espagne et d’Avignon. Henri IV convaincu des profits que la France pouvait retirer de l’industrie de luxe va s’appuyer sur son ministre Barthélémy de LAFFEMAS pour réduire les importations et développer les manufactures royales, notamment celles de soieries. Pour produire la matière première, la soie grège, que la France importe d’Italie, d’Espagne et du Levant, LAFFEMAS va faire appel à un agronome de renom, Olivier de SERRES, qui vient de publier en juillet 1600 « Le théâtre d’Agriculture et Ménage des champs ». En 1602, le roi fait distribuer dans toutes les généralités du Centre et du Midi son traité de sériciculture intitulé « ma cueillette de la soie, par la nourriture des vers qui la font »* et ordonne à chaque paroisse de Touraine, du Beaujolais, du Lyonnais, du Dauphiné, du Languedoc et de la Provence de planter des mûriers et de bâtir des magnaneries. Il fait établir des pépinières royales à Toulouse, Moulins, Tours et Nantes. Plus tard, dans la seconde moitié du XVII siècle, l’Etat représenté par COLBERT**, l’homme lige de Louis XIV, va imposer à Lyon, avec l’aide du consulat, un remaniement complet de la Fabrique. Il s’agit d’augmenter la production, de réduire les importations et d’améliorer la qualité des étoffes. Ce remaniement prendra la forme du règlement de 1667. Il compte soixante sept articles et établit trois classes dans la Fabrique : les maîtres-marchands, les maîtresouvriers à façon et, entre les deux, les maîtres-ouvriers fabricants.

    - Que veut dire ce règlement ?

    Il réintègre les marchands dans la communauté qu’une ordonnance de 1619 avait écartés. Il assimile les maitres-ouvriers à façon aux compagnons : « les maîtres qui travailleront à façon à cause de leur indigence subiront les mêmes lois que les compagnons » par exemple en leur imposant la tenue d’un livret d’acquit (où vont s’inscrire les situations des tisseurs, leurs dettes, leur patron donneur d’ordre, etc… Il entérine la nomination de six maitres-gardes dont quatre marchands et seulement deux tisseurs. Il limite l’accès à la maîtrise en imposant un seul apprenti par atelier. Il y avait, disait-on « trop de bras et pas assez d’ouvrage… ». Nous voyons ce règlement comme une véritable mise au pas de la Fabrique, dominée par l’Etat et les marchands. Ce règlement déclenche une émeute dans la ville. Trois articles seront suspendus. Il sera très mal appliqué, au point que COLBERT s’en plaindra.

    - Qu’en est-il des conditions de vie quotidienne ?

    Voici deux exemples de conditions et de destins différents :

    Nous sommes en 1645. Les recteurs de l’Aumône Générale viennent faire, comme ils en avaient le droit, l’inventaire du défunt Jean DAGAN, un maître-ouvrier en soie, demeurant proche de la porte Saint Georges où il occupait avec sa famille une petite maison étroite de trois niveaux., La plus jeune de ses filles est présente. Elle explique que son père avait été malade et que son travail avait été interrompu. Aussi, avait-il dû emprunter quelques deniers pour subvenir à son entretien et à celui de ses enfants.

    Voici l’inventaire :

    « En bas : une table en noyer et deux bancs. Un lit à colonnes en noyer avec paillasse, couverte et coussin de plumes, le tout fort usé et rompu. Deux coffres en noyer dont un fermant à clef, trois coffres à bahut. Une bassinoire, un pot au feu avec son couvercle, une poêle à frire, quatre cuillères en fer, deux chopines en étain, une petite lampe en fer blanc, une caisse à sel et une petite « barille » de vinaigre. Au mur : une épée et une hallebarde pour assurer son tour de garde, le maître faisant partie du « pennonage » de son quartier. A l’étage : La chambre des enfants : une table en noyer, un buffet de sapin fort vieux, trois lits et paillasses, quatre draps tout rompus, le défunt ayant vendu ce qu’il avait de plus beau pour s’assister. Au grenier : deux métiers propres à l’art de la soie, tout démontés et dégarnis, un rouet propre à faire les canettes. Enfin, quelques méchants habits de valeur nulle. » On voit là, cinq personnes vivant du travail du maître. Pas d’épargne. Le maître disparu, l’Aumône générale va recueillir l’enfant qui sera formé et, plus tard, placé dans la Fabrique.

    Un peu plus loin, du côté d’Ambérieux, un jeune garçon de 13 ans s’apprête à embrasser la profession de son père vigneron. Il deviendra marchand, puis fermier de rentes. Il sera à l’origine de quatre générations de marchands et de collecteurs de revenus ecclésiastiques ou seigneuriaux. La cinquième génération verra naître en 1786 Claude Joseph BONNET qui deviendra l’un des plus puissants soyeux du 19ème siècle. Il aura sous ses ordres quelques 2600 ouvriers dont 1400 tisseurs.

    - En cette fin du 17ème siècle il nous faut évoquer un événement important qui est la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en 1685. A-t-elle eu des répercussions sur la Fabrique lyonnaise ?

    Oui, Justin GODART nous dit précisément que 552 maîtres et apprentis quittent la Fabrique pour se répartir en Suisse, en Allemagne ou en Hollande où ils sont recherchés pour leur savoir faire. Par exemple, l’Angleterre accueille quelque trente mille personnes sur les deux cent mille huguenots français qui s’en vont. Venant de Tours, Nîmes et Lyon, ils vont s’installer à Londres, dans le quartier de Spitalfields spécialement construit pour eux. Il y a autre chose qui a eu des répercussions sur la Fabrique : ce sont les indiennes : ces toiles de coton, peintes ou imprimées, fabriquées en Inde puis en France à partir du XVIIème siècle. Bien que leur importation ait été interdite par LOUVOIS en 1686, cette interdiction n’a jamais vraiment été appliquée. Mais on va jusqu’à brûler ces étoffes publiquement, comme c’est le cas dans le quartier de Vaise.

    - Comment peut-on conclure ce 17ème siècle ?

    En disant que Lyon a réussi sa mutation. Elle est devenue une grande ville industrielle tout en maintenant sa place financière. La construction de la Loge du change en 1634 vient le confirmer. La population va atteindre en cette fin de siècle quelque 100 000 habitants.

    - Comment l’expliquer ?

    Par un phénomène de flux migratoire réversible : lorsque tout va bien, que le commerce et l’industrie prospèrent, il y a un apport rapide de migrants qui sont soit des forains, soit des étrangers, et quand les temps sont plus durs, un retrait se produit tout aussi rapidement. On voit que l’immigration est ici essentielle en venant combler le déficit démographique des villes où le nombre des naissances est presque constamment inférieur à celui des décès. Lyon est véritablement devenue la ville de la soie, mais au prix d’une affirmation du pouvoir royal.

  • - Comment se présente la situation générale en ce début du 18ème siècle ?

    Nous sommes dans le temps de la guerre de succession d’Espagne qui va durer douze ans (1701-1713) : elle met la France, dit le Larousse, « au bord de la ruine ».

    Après la mort de Louis XIV en 1715, les deuils multiples se succèdent dans les familles royales françaises et espagnoles. Ils provoquent des « édits somptuaires » imposant à la Cour et à l’aristocratie, pour de longues durées, le port de vêtements sobres et sombres. Ces édits sont redoutés par les ouvriers de la Fabrique qui sont mis au chômage du fait de l’arrêt des commandes. Ainsi, cette supplique des ouvriers en soie adressée au roi lors de la mort du Dauphin, fils de Louis XV, en 1766 : « Six mois de deuil pour le Dauphin ! Dix ans si l’habit noir peut lui rendre la vie, Mais aux pieds d’Atropos comme on gémit en vain, Parce qu’il est mort de maladie, Faut-il que nous mourrions de faim ? Sire, du travail ou du pain ! »

    On voit que la Fabrique lyonnaise est une industrie fragile parce qu’elle est une industrie de luxe.

    - Cette situation va-t-elle se prolonger ?

    Heureusement non. A partir des années 1720 (sacre de Louis XV : 1722 – mariage 1725) la Cour sort de l’atmosphère morose du début de siècle. Elle aime les fêtes et les plaisirs et demande des étoffes somptueuses. Ce sont les styles « régence » ou « rococo » (rocailles) qui remplacent peu à peu les étoffes lourdes et épaisses à grands ramages. Les décors sont dits « à la dentelle, à la fourrure ou au ruban. » La mode varie : la robe volante avec son dos flottant emploie des étoffes tout aussi somptueuses, mais plus légères et plus souples.

    - La Fabrique va-t-elle s’adapter ?

    Oui, parce qu’elle est techniquement au point et fait preuve d’une remarquable capacité d’adaptation. Le métier « à la grande tire » permet l’invention de nouveaux tissus comme les velours façonnés ciselés et brochés. Ceux-ci vont faire la renommée de Lyon. Madame de POMPADOUR, la favorite de Louis XV sera la plus grande consommatrice de soierie du royaume. Les commandes royales pour les tissus d’ameublement font vivre la Fabrique (pour Louis XV en 1730 et pour Louis XVI en 1785.) Les fabricants comprennent qu’il faut pour élargir leur clientèle, se faire connaître au-delà des frontières. Ainsi, Etienne PERNON va envoyer son fils Camille parcourir l’Europe et fréquenter les Cours d’Espagne, de Pologne et de Russie.

    - D’où vient ce renouveau ?

    Il est dû à la qualité de nombreux dessinateurs. Ils possèdent une formation artistique et technique comme la « mise en carte » qui reporte sur un papier quadrillé le dessin d’un tissu. L’histoire retient les noms de Jean REVEL (1684-1751) et de Philippe de LASSALLE (1723-1804) mais on peut citer RINGUET, ROUSSEL, LALLIÉ et MICHALET.

    Ce renouveau est dynamisé par d’ingénieux mécaniciens qui vont perfectionner l’automatisation des métiers à tisser ; citons les noms de Basile BOUCHON en 1725, de Jean-Baptiste FALCON (1728-1734) et de Jacques VAUCANSON qui en 1744 vient d’inventer puis améliorer un système d’aiguilles et de crochets sélectionnant au travers d’un carton percé de trous, la levée des fils de chaîne permettant la réalisation du motif. Au siècle suivant, JACQUARD, grâce aux améliorations de BRETON, mettra au point sa mécanique qui deviendra opérationnelle en 1817. Ces innovations techniques sont présentées au siège du Bureau de la Communauté, 1, rue Saint Dominique (rue E. Zola). Enfin, la Fabrique fait appel au savoir faire anglais en installant sur les métiers la « navette volante » inventée par John KAY en 1747 et en adoptant la technique du moirage de John BADGER, « recruté » par l’intendant BERTIN.

    - Et du côté des hommes, que se passe-t-il dans la communauté ?

    Le début du XVIIIème siècle est dominé par un conflit permanent entre les maîtresmarchands et les maîtres-ouvriers fabricants. Ces derniers cherchent à faire reconnaître leur statut d’artisan indépendant ayant le droit de vendre les étoffes qu’ils fabriquent.

    A ce moment, il y a encore trois classes de maîtres dans la Fabrique :

    1/ Les maîtres-marchands qui forment avec les banquiers une puissante oligarchie. Malgré leur titre, ils n’ont pas de formation technique et ont acheté leur droit de maîtrise. Ils sont désignés sous le terme de « gros marchands. » Ils sont environ cent cinquante.

    2/ Au milieu, il existe encore dans la communauté, un certain nombre de maîtresmarchands qui ne possèdent que leur atelier ; On les nomme les « petits marchands ». Les « gros marchands » leurs déclarent la guerre en les contraignant, s’ils veulent garder leur titre de marchand, de renoncer à leur atelier. (Arrêt 8.10.1731)

    3/ Enfin, les plus nombreux sont les maîtres-ouvriers « à façon » qui, comme leur nom l’indique, travaillent sur leurs propres métiers, pour les autres maîtres. Ils sont environ cinq mille.

    - Pouvons-nous évoquer le règlement de 1737 ?

    Oui, parce que ce règlement, composé de deux cent huit articles, fait figure d’exception dans les nombreux règlements qui parcourent l’histoire de la Fabrique. Pour l’obtenir, les « petits marchands » vont s’allier aux maîtres-ouvriers à façon contre les « gros marchands ». Comme on va le voir, ce règlement donne raison aux maîtres-ouvriers. Ainsi, les maîtres-ouvriers à la direction de la Communauté vont obtenir le même nombre de maîtres-gardes (4) que les marchands. (4) Ils vont avoir le droit de s’associer, de redevenir marchands et de vendre les étoffes qu’ils fabriquent sans avoir à payer le droit de 300 livres qui leur était imposé. Ils vont obtenir un dédommagement financier pour leurs « frais de montage » sur les métiers d’étoffes façonnées. Enfin, ce règlement évoque pour la première fois, le rôle des compagnons et celui des tireuses de corde dans l’’exécution des étoffes façonnées. Ce règlement qualifié « de progressiste » par les maîtres-ouvriers va déclencher de la part des marchands une vigoureuse protestation.

    - C'est-à-dire ?

    Ils vont obtenir un arrêt du Conseil d’Etat du roi révoquant le règlement de 1737, pour imposer le règlement de 1744, que les marchands vont établir sans consulter les maîtres-ouvriers. Ce règlement place les marchands à la tête de la Communauté. Sa publication va provoquer une émeute chez les ouvriers en soie, les compagnons et les tireuses de corde. Leur mouvement obtient l’abrogation du règlement de 1744 et le rétablissement des règles de 1737.

    Mais l’année suivante, le roi envoie à Lyon une armée commandée par le Comte de LAUTREC qui met la ville en état de siège et réprime les « meneurs. » Un crocheteur (porteur) du port est pendu ainsi qu’un ouvrier en soie Etienne MARICHANDER. Six compagnons sont condamnés aux galères dont l’un à perpétuité, François EXARTIER. Un climat de terreur règne dans Lyon. Le règlement de 1744 annulant les avantages de celui de 1737 est rétablit. Il restera en vigueur jusqu’à la Révolution.

    - Est-ce que l’on parle déjà du tarif ?

    D’une manière plus générale, des augmentations du prix des façons (la façon étant le prix payé par le donneur d’ordre au tisseur pour une longueur donnée de tissu réalisé, l’aune correspondant à 1,19 mètre) avaient été réclamées dès 1709. Pendant cette période, les tisseurs et compagnons furent réduits à la misère et à la mendicité du fait de la cherté des vivres et de « l’avilissement des façons ». Ils sont parfois contraints d’abandonner leurs enfants et de déménager sans payer leur loyer. Le tableau ci-après montre le déficit d’un budget familial présenté par un maître-ouvrier à façon en 1774. Il prouve sans conteste la nécessité d’augmenter les salaires.

    Après l’émeute de 1744, un second mouvement a lieu en 1786 à l’occasion du rétablissement d’une taxe sur le vin par l’archevêque de MONTAZET : c’est le prétexte de la révolte dite « des deux sous ». Les tisseurs en soie et les chapeliers se mettent en grève et revendiquent une augmentation de deux sous par aune tissée et la fixation d’un tarif général du prix des façons. Une révolte s’en suit, aussitôt réprimée par le jugement et la condamnation à mort de deux ouvriers chapeliers, Jean-Jacques NERIN et Pierre SAUVAGE. Dans le même temps, pour obtenir le calme, le Consulat accorde aux ouvriers en soie l’augmentation demandée. Mais trois semaines plus tard, selon un scénario bien établi, le Consulat obtient du roi un arrêt révoquant l’augmentation concédée.

    Cet arrêt, daté du 3 septembre 1786, précise que désormais, le salaire sera « réglé de gré à gré et à prix débattus entre le maître-fabriquant et l’ouvrier selon le temps, les circonstances, la nature des ouvrages et la capacité de l’ouvrier. » Ce texte royal proclamant une fausse liberté, va mettre en réalité les ouvriers en soie à la merci du fabricant : « c’est ainsi que depuis cette loi » disent-ils dans un mémoire adressé à NECKER, « on a vu plusieurs négociants contraindre l’ouvrier à travailler à moitié prix et forcer des pères de famille à travailler eux, leurs femmes et leurs enfants, dix sept à dix huit heures chaque jour, à ne pouvoir subsister sans recevoir les bienfaits des citoyens par les souscriptions ouvertes en leur faveur… ». Le 3 octobre, l’agitation pour le tarif reprend et les maîtres-ouvriers à façon prennent « le parti de convenir entre eux que pour VIVRE EN TRAVAILLANT il ne fallait ouvrer tels et tels genres d’étoffes qu’aux prix qu’ils déterminèrent. »

    L’auteur de ce texte est un maître-ouvrier tisseur, Denis MONNET qui avait été emprisonné après l’émeute des deux sous, de novembre 1786 à janvier 1787. Il est aussi sans doute l’auteur nous dit l’historien Fernand RUDE du « Mémoire des Electeurs fabricants d’étoffes en soie de la ville de Lyon » adressé au Directeur des finances Jacques NECKER dans le cadre de la préparation des Etats Généraux que Louis XVI avait convoqués pour la date du 5 mai 1789.

    - Quelle est la situation de la Fabrique à la veille de la Révolution ?

    En 1787, une grande crise provoquée par la disette des blés et des soies (gel des mûriers en France et en Italie) va mettre un terme à la bataille du tarif : cinq mille métiers sont arrêtés, plusieurs milliers d’ouvriers sont sans travail et le Consulat doit ouvrir une souscription publique. Cette longue crise va se prolonger jusqu’à la fin de ’année 1789.

    Cette crise s’alimente de deux autres causes. Un traité de libre échange passé avec L’Angleterre en 1786 qui laisse entrer en France les étoffes anglaises, et la mode des vêtements brodés ou imprimés comme les « indiennes » qui vont entrainer une baisse de production des tissus façonnés. La Fabrique lyonnaise va devoir développer sa production d’unis et les marchands, profitant d’une main-d’oeuvre abondante, vont imposer une diminution des prix des façons.

    Dans cet esprit, voici les recommandations que dispensait, dans un mémoire de 1786, le Conseiller de la Chambre Royale des Manufactures, Monsieur MAYET : « Pour assurer et maintenir la prospérité de nos manufactures, il est nécessaire que l’ouvrier ne s’enrichisse jamais…. Que dans une certaine classe du peuple, trop d’aisance assoupit l’industrie, engendre l’oisiveté et tous les vices qui en dépendent….. Personne n’ignore que c’est principalement au bas prix de la main-d’oeuvre que les fabriques doivent leur prospérité….Il est donc très important aux fabricants de Lyon de retenir l’ouvrier dans un besoin continuel de travail, de ne jamais oublier que le bas prix est avantageux en rendant l’ouvrier plus laborieux, plus réglé dans ses moeurs, plus soumis à leurs volontés… »

  • - Que peut-on-dire de la Révolution ?

    Cette période est riche et complexe. Voici quelques éléments qui nous ont paru essentiels. Tout d’abord, vu d’une façon générale, Lyon ne se distingue pas d’autres villes de France comme Bordeaux, Toulon ou Marseille et nous pouvons retenir pour l’image, la prise de la bastille lyonnaise, le château de Pierre-Scize, symbole de l’absolutisme lyonnais et prison d’Etat. Nous pouvons en voir ci-joint l’image qu’en fait l’idéologie révolutionnaire.

    - Quelle est la particularité lyonnaise ?

    Elle est originale en ce sens où, dans cette ville manufacturière, l’antagonisme entre ouvriers et marchands est devenu irréductible au point de rendre impossible toute alliance entre les deux classes. Ici, la grande bourgeoisie d’affaires, les négociants, les marchands, étroitement liés aux propriétaires fonciers de l’ancien régime, n’ont d’autres choix, pour contrer le mouvement populaire porteur de profonds changements sociaux, que de s’unir à la noblesse. Ce mouvement contre-révolutionnaire va décider les troupes de la Convention à entreprendre le siège de Lyon.

    - Cette période de troubles va-t-elle différer la bataille pour le tarif ?

    Non, les tisseurs vont poursuivre leur objectif du tarif et le conseil du roi en accepte le principe, mais les marchands y font opposition. En 1790, ce tarif est déclaré exécutoire par la municipalité de Lyon nouvellement élue en ces termes : « ici où la misère lutte presque toujours contre la richesse, il faut nécessairement que la loi se prononce. » Le 5 mai 1790, trois mille cinq cents ouvriers se réunissent dans la cathédrale Saint Jean sous la présidence de leur dirigeant Denis MONNET. Ils constatent le refus des marchands de participer à la mise en place d’un tarif et décident « de se régir et de se gouverner par eux-mêmes ». Les maîtres-gardes en exercice démissionnent, et quatre autres sont élus, dont Denis MONNET, à l’unanimité. Ainsi « en arrachant le tarif au Conseil du Roi, en brisant le corset du système corporatif, en voulant profiter des principes des droits de l’homme et du citoyen, c’est déjà le syndicalisme que préfiguraient Denis MONNET et les militants ouvriers de l’époque révolutionnaire. » nous dit Fernand RUDE. En octobre 1792, les maîtres-ouvriers se réunissent encore pour demander une revalorisation du tarif de 1790 au regard de « la cherté des subsistances ». A l’entrée de l’hiver, quatre mille ouvriers en soie signent une pétition adressée « aux citoyens, maire et officiers municipaux de la ville de Lyon » en précisant : que la liberté ne devrait pas permettre à une partie de la société d’égorger l’autre, en lui disant : tu ne mangeras qu’une telle quantité de pain ! ». Le 16 janvier 1793, ils obtiennent 30% d’augmentation. « Ainsi les ouvriers n’avaient cessé, conclut Fernand RUDE, de se préoccuper de leurs intérêts communs ».

    - Dans quel état est la Fabrique ?

    Elle est désorganisée et très mal en point. La soie ne fait pas bon ménage avec la Révolution. Les clients ont disparu et des ouvriers, des dessinateurs et des marchands quittent la ville. De nombreuses faillites sont déclarées. Sur dix huit mille métiers comptés en 1787, il ne reste en activité que deux mille cinq cents métiers d’unis et deux cent cinquante de façonnés.

    - Que deviennent les règlements ?

    Il n’y en a plus. Le décret ALLARDE de 1790 avait aboli les maîtrises et les maîtresgardes propres au régime corporatif, et la loi LE CHAPELIER va interdire, au nom du libéralisme, les coalitions et limiter le droit d’association.

    - Que fait la communauté en cette fin de siècle ?

    Elle réclame de nouveaux règlements qui garantissent une organisation et lui évite, en principe, les débordements. Mais le gouvernement les refuse « au nom du libéralisme ! ».

  • - La communauté va-t-elle trouver une solution pour combler ce vide institutionnel ?

    Oui, en créant des institutions qui vont prendre appui sur les structures anciennes :

    - Création de la Chambre de Commerce en 1802, laquelle va devenir le principal organe de la Fabrique

    - Création du Conseil des Prudhommes, en mars 1806, à la demande de la Chambre du Commerce, où le décret signé de Napoléon Ier proclame : « il sera établi à Lyon un Conseil de Prud’hommes composé de 9 membres, dont 5 négociants-fabricants, et 4 chefs d’atelier ».

    Cette même année, on voit resurgir le livret d’acquit, haï des ouvriers qui le dénoncent comme instrument de contrôle et de surveillance de leurs mouvements, de leurs employeurs et de leurs comptes.

    - Création, en 1805 d’une Condition des Soies unique. Un bâtiment sera édifié rue Saint Polycarpe.

    - La production de soieries va-t-elle reprendre en ce début du XIXème siècle ?

    Oui, avec les commandes de Napoléon, de Louis XVIII, de Charles X et avec la mise au point de la mécanique JACQUARD (en réalité VAUCANSON-JACQUARD-BRETON). Ce perfectionnement technique va supprimer la tâche des tireuses et tireurs de lacs (cordes). Il va améliorer le rendement des façonnés, mais ne va pas améliorer les conditions de travail de l’ouvrier. Il semble que la mécanique JACQUARD avait pour objectifs de pallier à la pénurie de main-d’oeuvre des tireurs –tireuses de lacs et d’augmenter la productivité des tissus façonnés.

    La mise en concurrence à l’intérieur de la Fabrique d’un plus grand nombre de fabricants détériore les conditions de vie des tisseurs : entre 1810 et 1830 le prix payé à l’aune tissé est divisé par deux pour les unis, et par trois pour les façonnés !

    - Quelle est la composition de la Fabrique ?

    A la veille de 1830, il y a entre sept et huit mille chefs d’atelier (mot nouveau au XIX siècle), quarante mille compagnons, et cinq à six cents négociants-fabricants, (le mot fabricant a changé de camp). Bien sûr il y a aussi les apprentis et les « auxiliaires », souvent des enfants qui effectuent des tâches diverses et utiles (par exemple le canetage). Les chefs d’atelier sont des ouvriers particuliers puisqu’ils sont propriétaires de leurs métiers. Mais ce ne sont plus vraiment des artisans puisqu’ils n’achètent pas les matières premières, ni ne revendent les produits qu’ils fabriquent. Ce sont des hommes cultivés, qui savent s’unir lorsqu’il le faut, et défendre leurs acquis. Les compagnons font partie d’une population flottante, changent souvent d’atelier, et sont issus, pour une bonne partie d’entre eux, des régions avoisinantes, dont un tiers de la Savoie piémontaise. Leur situation est précaire. Souvent célibataires, ils louent leurs bras au chef d’atelier qui les emploie. Ils ne possèdent pas de métiers, et peu d’entre eux accèderont à la maîtrise. Ce sont les prolétaires de la Fabrique.

    - Sont-ils organisés ?

    Oui, surtout les chefs d’atelier qui sont plus instruits que leurs compagnons. C’est parmi eux que va naître le MUTUELLISME, avec la création en 1827 du « DEVOIR MUTUEL » par le chef d’atelier, Pierre CHARNIER. C’est une société secrète (compte-tenu de l’interdiction de réunion) de secours mutuel et d’entraide. Elle s’occupe de prêts d’outils, de placement de compagnons, de l’entraide lors des accidents, maladies ou décès. Elle lutte contre les abus et refuse la charité. Elle va donner à ses membres le sens de l’organisation et servira de cadre à la révolte de 1831.

    - Et les compagnons ?

    Ils vont eux aussi s’organiser, mais plus tard, pour constituer en février 1832 la Société des Compagnons Ferrandiniers, du nom d’un tissu de soie et de laine, la ferrandine.

    - Le tableau peint en 1831 par DELACROIX, « La liberté guidant le peuple », représente une scène de la révolution de juillet 1830 à Paris. Mais que s’est-il passé à Lyon ?

    Les marchands-fabricants libèrent leurs ouvriers de leurs travaux pour qu’ils puissent aller manifester sous le drapeau tricolore en leur affirmant que la chute de Charles X « augmenterait leur liberté et réduirait leurs souffrances ». Pour arracher les pavés de la place des Terreaux et dresser les barricades « il fallait des mains calleuses » dit la chronique. Mais cette association entre la bourgeoisie et les ouvriers sera de courte durée. Dès le. début de l’année 1831, on peut lire sur des affichettes placardées : « Le bandeau tombe enfin de nos yeux. Le prestige des couleurs n’a qu’un temps et la liberté sans pain ne nourrit pas nos familles ». Ces mots disent bien la crise que connaît la Fabrique depuis 1827 : en effet, onze millemétiers sont arrêtés à la veille de la révolte. C’est une crise générale qui atteint toute la France et plusieurs corps de métier ; à Lyon, les chapeliers, les charpentiers, les menuisiers et les maçons se mettent en grève. En Europe, le peuple belge conquiert son indépendance et les Polonais se dressent contre l’occupation russe.

    - Comment les ouvriers en soie vont-ils affronter la crise ?

    En revendiquant une nouvelle fois, mais avec plus de force, un tarif minimum du prix des façons. Pour cela, les chefs d’atelier inventent un nouvel outil et vont créer en octobre 1831 un journal à leur mesure intitulé « l’Echo de la Fabrique ».

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Conférence par Jean-Yves Quay, architecte-urbaniste
juin
3

Conférence par Jean-Yves Quay, architecte-urbaniste

  • La Croix-Rousse désigne un quartier Lyonnais situé au nord du centre-ville qui regroupe deux arrondissements de LYON, le 1er et le 4e. Son nom ferait référence à une croix en pierre de Couzon (couleur ocre-rouge), située autrefois au carrefour de la montée de la Grande Côte, des rues Costes, Belfort et de la montée de la Boucle, au coeur du faubourg du même nom et qui fut rattaché à LYON en 1852. Le 1er arrondissement est le quartier dit « des pentes », le 4e est souvent appelé « le plateau ». Ces dénominations sont des termes géographiques et cette géographie locale rappelle aux Lyonnais l'histoire de leur ville, entre la colline « qui prie » (Fourvière) et la colline « qui travaille » (la Croix-Rousse). Et comme il n'est nul besoin d'être grand clerc pour savoir qu'il y a moins d'hommes qui prient que d'hommes qui travaillent, nous imaginons facilement que ces deux collines ne se sont pas développées de la même manière et que les formes urbaines prises par ces peuplements sont différentes. Cela se constate encore aujourd'hui, où l'écart entre le calme des clos et l'agitation urbaine s'est encore agrandi, les deux collines en vis-à-vis opposant des densités bâties et d'usage très contrastées ! Si la colline de Fourvière est devenue un site peu dense où le végétal a pris un rôle déterminant dans le paysage lyonnais (avec les vestiges Gallo Romains, le musée de la Civilisation Gallo-Romaine, le parc des Hauteurs), la colline de la Croix-Rousse est restée un quartier animé, fort apprécié, semble-t-il, par ses habitants et par le tourisme urbain. Un quartier populaire recherché Les pentes de la Croix-Rousse sont occupées aujourd'hui par 17 000 logements abritant quelque 27 000 habitants (recensement de 1999). Il s'agit d'une population où se brassent tous les âges, des familles de toutes tailles aux revenus très différents (en excluant peut-être les familles les plus fortunées qui ont pu prendre de la hauteur sur des sites un peu moins fréquentés !). Le quartier a encore en mémoire les luttes de ses habitants pour leur quotidien (révolte des canuts en 1831), pour la sauvegarde du patrimoine (réaction populaire à la démolition de la Grande Côte) et cette tradition contestataire se poursuit encore aujourd’hui, notamment à travers des mouvements alternatifs ou associatifs et artistiques. Le caractère populaire du quartier (17% de logements sociaux en constante augmentation) perdure et se conjugue avec la pratique quotidienne de la solidarité avec les plus pauvres (1). Et cela n’empêche pas l’arrivée de jeunes familles plus « argentées » qui trouvent dans ce quartier des qualités de vie contemporaines bien réelles, malgré la difficulté pour y accéder en voiture et pour stationner ! Le quartier est proche du centre-ville (un quart d'heure à pied) et de ses services, dégagé malgré la densité bâtie, et bien desservi par les transports publics (bus, métro). Cela tendrait à montrer que ce quartier avait en germes (dans sa genèse…) des qualités qui lui permettraient d'éviter le dépérissement dès lors que ce pour quoi il avait été construit disparaitrait. Cela pose déjà une première question : comment un quartier, originellement construit pour accueillir une activité industrieuse (la Fabrique lyonnaise à partir de 1750), a-t-il pu survivre à la disparition de cette activité ; pratiquement au plus fort de sa construction, lorsque, dès 1850, la production de la soie s'externalisa vers les campagnes environnantes. Et en 1925, quand la production de la soie devint une activité industrielle à part entière, avec l’installation d’une usine fabriquant de la soie artificielle à Vaulx-en-Velin (usines T.A.S.E), puis sur les sites industriels de Vaise, au nord, et de Belle Étoile au sud, le quartier abordera l’offre résidentielle avec des atouts dont les faibles coûts de locations ou d’acquisitions ne furent pas les seuls arguments promotionnels. L’esprit Canut Jean-Yves QUAY architecte-urbaniste - 3 juin 2009 - Le quartier des pentes de la Croix-Rousse à LYON 4/16 Un peu d'histoire La ville de LYON s'est développée à partir du 1er siècle avant notre ère sur un site très favorable à l'établissement humain. Il s'agit d'un site de confluence (la Saône et le Rhône), à 175 m au-dessus du niveau de la mer et au pied de deux collines culminant à 300m. Bien exposé (ouverture vers le sud), le site est un lieu de rencontre idéal, entre plaine alluviale et collines boisées, entre le nord et le sud, entre ombres et lumières, celles des couleurs de terre que la Saône rapporte des plaines limoneuses de la vallée de la Saône et les couleurs de ciel que le Rhône a arraché aux glaciers des Alpes, entre féminin ( la Saône nourricière, avec sa plaine fertile et la batellerie) et masculin (le Rhône impétueux et protecteur), entre l'architecture de terre et l'architecture de pierre. L'eau abonde grâce à la configuration du sous-sol (anciennes moraines glaciaires pour les collines et plaine sédimentaire), avec des sources à mi-pente et des nappes peu profondes qui alimenteront l'agglomération en eau jusqu'au XIXe siècle ! L’origine de la fondation de Lyon ne semble pas à ce jour définitivement arrêtée ; les historiens s’accordent à reconnaître l’établissement d’une colonie celtique, Condate, au pied de la colline morainique où confluaient la Saône et le Rhône. En face, des réfugiés civils viennois en - 44 fondent la cité de LUGDUNUM. De cette cité très rapidement prospère partent les voies antiques vers l'océan (la Gaule Aquitaine) et vers la Méditerranée (La Narbonnaise). Très tôt, le bourg de Condate fut promu par Rome, lors du séjour d'Auguste (-16/-14), au rang de capitale des Trois Gaules (Aquitaine, Belgique et Lyonnaise) avec la création du sanctuaire des Trois Gaules, au pied des pentes de la colline de la Croix-Rousse. La rue dite "des Tables Claudiennes" nous rappelle que Condate reçut le 1er autel de gouvernement des Gaules ; au pied du plateau partant vers les peuples du nord et du Rhin. Lorsqu'au IVe siècle LYON devient la cité de l'évêque, le site est organisé avec une fonction ecclésiastique et politique au pied de la colline de Fourvière, avec le quartier St Jean (palais épiscopal, cathédrale, palais de l'autorité civile) et une fonction plus économique au pied de la colline de la Croix-Rousse (batellerie, artisans et marchands). La cité de l'Évêque bâtit une première enceinte sur la colline de Fourvière, et va se développer sur des terres conquises entre le Rhône et la Saône, en repoussant leur confluence plus au sud. Il est alors réalisé un fossé reliant le Rhône avec la Saône au pied des pentes de la Croix-Rousse, à l'emplacement de ce qui deviendra plus tard la place des Terreaux. La rive droite de la Saône est densément bâtie autour de la cathédrale Saint-Jean et de son cloître, entre Saône et murs de soutènement des anciens édifices et des voies Gallo-Romaines. Le Rhône est toujours une frontière (pour le Lyonnais), une limite et une protection pour la ville de LYON, jusqu'au XIIe siècle, époque au cours de laquelle est construit le 1er premier pont sur le Rhône entre la presqu'île et le bourg Chanin, actuel quartier de la Guillotière, d'où partaient les routes vers l'Allemagne et l'Italie. Si la ville épiscopale est tassée, resserrée sur elle-même, entre Saint-Paul et St Georges, la ville nouvelle qui s'est construite sur la rive gauche de la Saône a gardé un aspect rural : les rues sont étroites, sinueuses, et parsemées d'espaces verts. En effet, des jardins, des vignes et des courtils entourent les maisons. Trois voies montent sur le plateau depuis la presqu'île en empruntant les ravines : ce sont les actuelles montées Saint-Sébastien, de la Grande Côte et des Carmélites. La montée de la Grande Côte, la plus raide, mais aussi la voie la plus rapide pour atteindre le centre du plateau, sera la première à s’urbaniser. Le parcellaire est plutôt un parcellaire rural, en « lanières », constitué de jardins et de vignes qui favorise le débouché du plus grand nombre sur les voies montantes. L’esprit Canut Jean-Yves QUAY architecte-urbaniste - 3 juin 2009 - Le quartier des pentes de la Croix-Rousse à LYON 5/16 Les maisons construites sur cet étroit parcellaire, sont blotties les unes contre les autres, le long des voies, notamment le long de la montée de la Grande Côte. Cette disposition logique des maisons par rapport à leur usage entravera plus tard la planification des aménagements destinés à densifier le site, que ce soit pour créer de nouvelles voies à travers les jardins ou pour tenter de créer des ilots réguliers. À la fin du XIVe siècle, le gouvernement de la cité passe aux mains des marchands- banquiers qui vont se charger d'organiser les fonctions vitales de la cité : son approvisionnement en nourriture et en eau, la construction d'hôpitaux, l'organisation de sa défense et de son assainissement. En haut des pentes est réalisé un merlon de terre et de madriers qui sera complété au cours du XVIe siècle par une muraille bastionnée percée de portes au droit des anciens chemins. Ainsi à la fin du XVIe siècle, la Croix-Rousse est encore un quartier essentiellement rural, où seule la montée de la Grande Côte constitue un début d'urbanisation. Entre 1584 et 1700, dix couvents sont fondés sur des terrains jusque-là occupés par des cultures (vignes, potagers et vergers). Cette implantation systématique d’institutions religieuses est due à la décision de la royauté d’implanter massivement des congrégations religieuses dans les villes, pour mettre un terme définitif aux guerres de religion en affirmant le rôle de l'Église catholique et de ses ordres. Il n’y a plus de place à l’intérieur de la cité, alors on les implante à proximité du centre, on pourrait dire en « première couronne ». Les terrains occupés par les religieux sont cernés de hauts murs (d'où leur nom de closeries ou recluseries) et seules quelques Maisons des Champs accompagnent de leur caractère résidentiel ces espaces de silence et d'enfermement. Au XVIIIe siècle, la ville est à l’étroit entre ses fleuves et ses murailles, alors que l’activité commerciale et industrieuse bat son plein (la croissance à Lyon est à l’époque de l’ordre de 4%, presque 4 fois plus importante que dans le reste du pays). En 1764, Morand projette un plan d'agrandissement de LYON, qui propose d'urbaniser la rive gauche du Rhône par la création de digues et d'un nouveau pont sur le Rhône, dans le prolongement de l'axe des Terreaux. Son plan prévoit des voies rectilignes pour relier la Saône au Rhône à travers les clos. Le quartier Saint-Clair verra le jour grâce à l'opération réalisée par JG SOUFFLOT, qui, précédant la mise en oeuvre du plan MORAND, rattache une île à la rive droite (opération contemporaine de la naissance du quartier de la Barcelonnette à BARCELONE) par comblement d'un bras du Rhône. Le quartier est constitué d'îlots réalisés suivant une trame orthogonale, et il constitue la première opération spéculative de construction au nord des Terreaux. Le quartier Saint- Clair, constitué de 7 lots, est remarquable de par sa densité (R+5+combles le long de rues étroites), l'alignement rigoureux de ses façades seulement ornementées côté Rhône, et la composition ordonnée des îlots. Mais c’est la Révolution qui va déclencher l’urbanisation massive des pentes. En effet, en 1789, les communautés sont vendues comme biens nationaux et la possibilité de lotir les clos des pentes de la Croix-Rousse devient alors une véritable aubaine qui va permettre à LYON de satisfaire la demande immobilière. À cette époque, la ville est encore "engoncée" entre la colline de Fourvière et le Rhône (il aura fallu presque 500 ans de reconstructions successives pour franchir définitivement le fleuve, le deuxième pont sur le Rhône étant ouvert au public seulement en 1776 !) et l’habitat ne peut se densifier qu’en hauteur par le rajout d'étages. La saturation se fait vite sentir, tant au niveau de l’espace public qu’au niveau des moyens techniques pour permettre ces surélévations. Or, depuis le XVIe siècle, le tissage de la soie naturelle est une activité économique très importante à LYON. Cette activité nécessite des conditions hygrométriques assez rigoureuses, réclame de l’espace pour abriter les bras de plus en plus nombreux et les familles qui participent à l’ouvrage. Les « ouvriers tisserands » vont donc commencer à quitter les bords de la Saône pour aller s'installer sur les pentes de la Croix-Rousse où la lumière et l'air sont mieux assurés ! L’esprit Canut Jean-Yves QUAY architecte-urbaniste - 3 juin 2009 - Le quartier des pentes de la Croix-Rousse à LYON 6/16 À la population des commerçants et artisans installés le long de la montée de la Grande Côte, va se rajouter la population de ces ouvriers tisserands, qui, du lever du soleil à son coucher, six jours sur sept, vont animer les pentes du bruit des métiers à tisser, de leurs déplacements et de leurs luttes sporadiques contre la pression économique exercée par les soyeux qui sont en fait leurs vrais maîtres. Le quartier se construit sur le labeur, avec un esprit d'indépendance et de dignité, avec un rapport presque viscéral avec le centre-ville. Le quartier est un véritable lieu de production (de la soie), que l'on nomme « la Fabrique Lyonnaise ». Fabrique lyonnaise qui a la particularité de faire oeuvrer des milliers de travailleurs manuels (enfants, femmes et hommes) indépendants qui n’avaient pas les avantages sociaux de l’ouvrier moderne, mais déjà la pénibilité du travail « à la chaine ». Leur sort est entièrement lié à la façon, commandée par des marchandsfabricants qui organisent toute la filière, depuis le ver à soie jusqu’à la vente des tissus, en passant par la définition des couleurs et des motifs. Ces marchands-fabricants n'ont pas d'atelier, mais seulement des magasins. Ils achètent la matière première, la font préparer, teindre, puis ouvrer par les ouvriers en soie à qui ils paient la façon. Ces ouvriers en soie sont dénommés « canuts », celui qui utilise la « cannette » (la canette étant un dévidoir pour le fil de soie). Afin de régler les conflits incessants entre la production (assurée par les canuts) et le négoce de la soie (géré par des négociants : les soyeux) essentiellement localisé autour des Terreaux, un bâtiment (la Condition des Soies) sera réalisé en 1812 au pied des pentes, à proximité de l'Hôtel de Ville construit au XVIIe siècle, avec pour but de pacifier les rapports entre le travail et sa rémunération. En 1875, le métier « Jacquard » destiné à diminuer la pénibilité du tissage tout en augmentant sa productivité, déclenche l'hostilité des canuts, qui comprennent que la mécanisation de leur activité préfigure son industrialisation. Et les faits vont le confirmer : que ce soit pour briser le monopole local de sa fabrication en trouvant une main-d’oeuvre moins qualifiée, et donc moins chère, ou pour libérer des terrains de plus en plus convoités, l’activité « s’exporte » vers les bourgs environnants : les métiers partent à la campagne. Les ateliers de la Croix-Rousse commencent à disparaitre, l'activité recule et l'habitat prend sa place. Le quartier semble s'endormir, des familles d'ouvriers et d'employés remplacent les familles de canuts, des familles d'immigrés remplacent les familles d'artisans et certains secteurs se paupérisent, comme la montée de la Grande Côte qui verra arriver les démolisseurs en 1975, par le haut, d'où le panorama est le plus extraordinaire et le plus facile à promouvoir ... Les émois provoqués par le pic des démolisseurs feront réagir tout autant les habitants que les associations, puis les élus qui arrêteront définitivement la rénovation des pentes de la Croix- Rousse pour entreprendre leur réhabilitation. La réalisation d'une ZPPAUP (Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager) parachèvera le classement par l'UNESCO au titre de patrimoine mondial de l'humanité des 427 ha du site historique de la Ville de LYON qui comprend la colline de Fourvière, le Vieux LYON sur la rive droite de la Saône, la presqu'île et les pentes de la colline de la Croix-Rousse. Habiter les pentes « Habiter c'est construire son temps dans l'espace ». (2) Puisque la protection des pentes de la Croix-Rousse est maintenant bien définie, en quoi cette forme de patrimonialisation recouvre-t-elle une réalité sociale ? L'habitabilité du site est-elle due à un effet de mode ou à des qualités résidentielles durables ? Pour essayer de comprendre le rapport entre la spéculation foncière de l’époque, la construction systématique (une cité industrielle avant l’heure ?) et une extension urbaine réussie puisqu’ elle « vit » maintenant depuis plus de deux siècles malgré l’abandon « in fine » du programme (la fabrique lyonnaise), je propose de mettre en correspondance les formes urbaines de la Croix-Rousse avec les usages qui fondent aujourd'hui « l'habiter ». L’esprit Canut Jean-Yves QUAY architecte-urbaniste - 3 juin 2009 - Le quartier des pentes de la Croix-Rousse à LYON 7/16 Une « trame » complexe : « Que l'on conserve ou que l'on retrouve des espaces d'indétermination où les individus auraient la liberté de demeurer dans un état de vacance ou de poursuivre leur marche. » (3) Un dénivelé d'environ une centaine de mètres sépare le haut du bas des pentes, sur une longueur de 700 m, entre le boulevard de la Croix-Rousse et la place des Terreaux, soit une pente moyenne d'environ 14%. C'est environ 10 à 15 minutes de marche à travers un véritable « dédale » de rues et d'escaliers, de passages plus ou moins mystérieux à travers le bâti. L'usage de la voiture n'aide guère, puisqu'à la complexité du plan des rues, s'ajoute la difficulté de stationner (alors même que les parkings payants réalisés récemment sont les moins rentables de l'agglomération !) La pente du site est tout d'abord une contrainte, tant pour passer que pour demeurer. La montée de la Grande Côte fut la première voie à s’urbaniser. D’abord le long de la rue, puis sur toute la profondeur des parcelles étroites issues de l’ancien parcellaire rural. Cette disposition posera bien sûr des problèmes lors de la rencontre de cette « épaisseur » urbaine avec l’urbanisme planifié du lotissement des clos. La montée de la grande Côte est un bel exemple d’une forme urbaine de colonisation, plutôt « organique », et dont on a encore beaucoup à apprendre. À l'ouest de cette voie, le clos de la Déserte était installé depuis 1304 sur un site occupé depuis l'antiquité (amphithéâtre des trois Gaules, villa romaine au pied de la colline). Ce clos limitera l'extension du bâti de la montée de la Grande Côte vers l'ouest et donnera la structure de la place Sathonay (géométrie issue du cloître, murs de soutènement qui porteront la future rue du Jardin des Plantes). La place Sathonay et les îlots qui la bordent formeront un petit morceau de ville sur plan orthogonal, encastré au pied des pentes. Les clos des Capucins et des Ursulines, situés à l'est de la partie méridionale de la montée de la Grande Côte (de l'autre côté du clos de la Déserte) ont leurs bâtiments conventuels construits vers la montée de la Grande Côte. Les terrains, occupés par des vignes et des jardins, orienteront le sens des rues suivant l'allée principale (est/ouest) pour distribuer les îlots à construire. La place du Forez reprendra la forme du bassin situé au croisement des anciennes allées du clos ; la rue montante (rue Saint-Polycarpe) raccordera une rue moyenâgeuse avec la rue nouvellement créée (rue René Leynaud), mettant ainsi en scène la façade de l'ancienne église des Oratoriens devenue église paroissiale. Le clos des Oratoriens situé un peu plus au nord des clos précédents, à l'Est de la montée de la Grande Côte a « donné » au quartier son église paroissiale et par la même occasion des perspectives et un élargissement de la rue René Leynaud des plus scénographiques. Erreur de tracé ou subtile récupération d’un alignement contrarié, toujours est-il qu’à ce niveau des pentes, la dilatation de la rue adoucit heureusement la présence bâtie. La forme du clos va créer lors de son lotissement des « accidents » propices à la création de vues pittoresques et inattendues : que ce soit le débouché de la rue Burdeau sur le Jardin des Plantes, l'évasement de la rue des Tables Claudiennes, ou le surplomb de la place Chardonnet. Au nord-est des pentes, une des allées du jardin du clos des Colinettes a donné l'axe de la rue Magneval ainsi que la direction des rues qui permirent son lotissement. Les parties les plus difficiles à construire (présence trop prononcée de la pente, bordure des anciens remparts) sont devenues un jardin public et la place Bellevue. Le clos des Annonciades et des Carmélites, à l'ouest du Jardin des Plantes, va permettre l'ouverture de la rue de Flesselle à l'ouest, aux perspectives spectaculaires sur Lyon, et la rue de l'Annonciade au Sud. Le long de la montée des Carmélites, une partie du couvent des Annonciades (XVIIIe) a été restituée à une communauté religieuse. L’esprit Canut Jean-Yves QUAY architecte-urbaniste - 3 juin 2009 - Le quartier des pentes de la Croix-Rousse à LYON 8/16 Si l'on ajoute l'ancien clos des Chartreux, c'est tout un ensemble de jardins, belvédères, et vastes espaces qui resteront occupés par des institutions publiques ou privées (collèges, lycées, écoles, cliniques et hôpital), donnant ainsi à ce secteur une fonction moderne d'équipement public ainsi qu’une remarquable épaisseur paysagère. Le clos Neyret, (un des rares clos non conventuels) sera desservi au sud par une rue ouverte par son propriétaire en 1819 (et qui porte aujourd’hui son nom, la rue Neyret) afin d'en assurer la constructibilité à une époque où la demande est forte. L'église du Bon Pasteur construite (1875/1883) en limite de la rue Neyret a son parvis situé à quelque trois mètres audessus de la rue. L'escalier prévu ne fut jamais construit et l'église (qui n'est plus affectée au culte catholique) est seulement accessible par une porte ouverte sur le côté est de la nef, depuis l'escalier qui raccorde la rue Neyret à la rue du Bon Pasteur. Cette situation incongrue témoigne aujourd'hui de façon caricaturale de la difficulté de la gouvernance face aux intérêts particuliers ou des aléas de la "fabrique urbaine" confrontée aux symboles politiques... Le clos du mont Sauvage était une autre propriété privée, un domaine bâti et clos de hauts murs qui appartenait à une riche famille lyonnaise. Le clos fut ainsi loti avec la réalisation de la rue JB Say sur sa limite est, la rue Raymond prenant la place de l'allée qui desservait la maison de plaisance (on peut encore y voir en bordure de l'impasse qui donne sur l'hôpital, un austère bâtiment parallélépipédique, qui devait être la ferme de la propriété). La limite de ce clos avec le clos de la Tourette sera utilisée pour créer la rue Saint-François d'Assise, qui ne pourra pas rejoindre la rue du Bon Pasteur, tout comme les autres rues perpendiculaires au boulevard (rues de Vauzelle, Ozanam, Raymond) compte tenu de la forte déclivité entre la partie médiane des clos et la rue du Bon Pasteur. Enfin, la rue Sainte- Clothilde empruntera une ancienne allée du clos de la Tourette, tout comme l'impasse Vauzelle. Le lotissement des clos trace l’histoire exemplaire des conflits d’intérêts entre l’action immobilière privée et la gouvernance locale, lorsque celle-ci tente d’opposer à la puissance économique l’intérêt général d’un espace public qui ne soit pas limité à sa seule fonction de desserte, le passage Thiaffait pouvant en donner l’illustration la plus frappante. Le plan de Morand n’avait pas pu dépasser la montée Saint-Sébastien pour rejoindre la Saône, tant les côtières et les clos résistaient à toute velléité planificatrice. Le plan orthogonal de Coillet établi en 1813, n’a pas eu plus de succès, car à ce moment-là, la spéculation va à un rythme que les consuls ont de la peine à suivre. À la Croix-Rousse, la « trame » qui a été si longtemps le fruit de la « fabrique lyonnaise » s’est « trans-figurée » en un « tissu urbain » très élaboré, à partir de la trame viaire, la trame des traboules, la trame constructive et la trame des vues… Se déplacer, l’exemple de la traboule : « Habiter c'est sortir et aussi pouvoir sortir de l'abri sans péril, sans danger, sans menace. » (4) Si la voie qui serpente permet aux véhicules de franchir une déclivité, elle n'attire pas trop le piéton qui préfère souvent la ligne droite, même si elle est en pente. D'ailleurs, les plus anciennes voies nous montrent généralement un tracé qui est face à la pente, car essentiellement utilisé par des piétons qui empruntent les bords des anciennes ravines pour gravir une côte. Lorsque les attelages supplanteront le transport à dos d’homme, le ruisseau qui avait créé la sente est endigué ou couvert, et le chemin devient une voie, généralement empierrée. Pour tirer les charriots (la pente est raide, mais généralement pas très longue) on augmentait ponctuellement le nombre d'animaux qui tractaient les véhicules plutôt que de réaliser des « lacets ». Cela évitait de « gaspiller » terres et monnaies et cette économie due au passage a souvent présidé à la création des faubourgs. La montée du Lieutenant Allouche, montre par l’ampleur des murs qui la soutiennent, ce que coûte en espace et en constructibilité la réalisation d’une voie carrossable face à la pente… L’esprit Canut Jean-Yves QUAY architecte-urbaniste - 3 juin 2009 - Le quartier des pentes de la Croix-Rousse à LYON 9/16 Le faubourg qui se construit le long du passage transforme la voie en rue … que, la densité pressante, on va chercher à « épaissir » en créant des rues perpendiculaires pour partir « coloniser » les jardins situés au-delà. À la Croix-Rousse, ces nouvelles voies sont créées d’abord parallèlement aux lignes de pentes et rejoignent les montées (de la Grande Côte, Saint-Sébastien et des Carmélites) sans souci d’orthogonalité. Le tracé de ces nouvelles rues doit beaucoup à la géométrie et aux murs des clos, avec un espacement assez fidèle à l’esprit des différents plans d’alignement produits par la ville. Les bâtiments sont majoritairement construits perpendiculairement à la pente plutôt que parallèlement. Cela offre des avantages notables : vues et ensoleillement deviennent des valeurs à partager, et les rez-de-chaussée sont plus faciles à desservir et à organiser. Ces avantages résidentiels et fonctionnels, vont se combiner avec les avantages constructifs tirés du changement de la dimension des parcelles (en lanières, le long des anciennes voies, elles deviennent plus larges et plus carrées, à l'intérieur des terres loties) et vont transformer l’organisation et la forme de l'immeuble. La densité augmentant, ainsi que le nombre et la diversité des déplacements piétonniers (pour le travail, le commerce, le ravitaillement, etc.), le piéton ne va pas se satisfaire de rues qui obligent à faire des détours, notamment lorsque la longueur des îlots (8 rues qui traversent pour 4 qui montent !) ne permet pas un quadrillage régulier. La sente ou le passage raccordent traditionnellement les rues pour raccourcir le trajet des piétons. À Fourvière, et dès le Haut Moyen Âge, les rues suivent les lignes de pentes, parallèlement à la Saône. Des allées traversent les immeubles bâtis le long de ces rues pour descendre vers les ports où se concentrent les activités d'échange. La traboule (« trabulare » ou « trans ambulare » : marcher à travers) désigne à LYON une allée qui relie deux rues à travers les immeubles les séparant. Ce système, fort pratique dans une ville connue pour ses brouillards de décembre, sa pluviosité généreuse (152 jours/an), son soleil caniculaire en été, va se poursuivre ponctuellement lors de la construction de la presqu'île (à partir du Xe siècle). Mais ce qui était une commodité à Fourvière, puis une tradition en voie de disparition sur la presqu'île vont devenir un véritable réseau piétonnier sur les pentes de la Croix-Rousse. Lorsque les ateliers de tissage vont se déplacer du pied de la colline de Fourvière vers les pentes de la Croix-Rousse, la traboule va être érigée en système de distribution, réservé aux piétons, à l’abri et le plus direct possible entre les lieux de production (les ateliers de tissage) et le lieu de la vente de cette production, autour du quartier des Terreaux. En effet, la soie est un produit fragile qui craint les changements hygrométriques ; la transporter rapidement et le plus possible à l'abri de la pluie, permet de diminuer les conflits lors du pesage. En 1814, la mise en fonction de "la Condition des Soies" officialise le lieu des transactions commerciales de la Fabrique lyonnaise, en bas des pentes, point de convergence des traboules. La plupart des traboules sont accessibles depuis la rue par une baie fermée par une porte, généralement à deux battants et surmontée d'une imposte défendue par un ouvrage en serrurerie. Son aspect est généralement peu manifeste, son entrée rarement annoncée sur la rue. La traboule peut aussi emprunter un escalier qui parfois prolonge celui qui dessert les logements. L'escalier est alors à la fois un ouvrage de distribution des niveaux habités (et des ateliers) et le raccordement de deux traboules situées à des niveaux différents. Une autre caractéristique de la traboule est sa géométrie. En effet, rares sont les traboules dont on perçoit dès l'entrée, le débouché. Même si on sait qu'elles nous permettent de relier les rues entre elles, les traboules ne sont pas des passages dont l'évidence s'impose ! Conjoncture, contingence, fantaisie ou calcul, quelles que soient les conditions qui ont présidé à leur réalisation, le résultat dépasse la simple fonctionnalité de l'usage. L'expérience spatiale de la traboule s'apparente au jeu, à la découverte, à la fuite dans l'inconnu, à l'expérience originelle de l'intime, au rêve et à l'errance. L’esprit Canut Jean-Yves QUAY architecte-urbaniste - 3 juin 2009 - Le quartier des pentes de la Croix-Rousse à LYON 10/16 Le déplacement du corps se fait dans les trois dimensions, car très souvent à une traversée est associé un escalier ou un cheminement en pente ! La traboule suit un tracé complexe, dévie, monte ou descend, tourne (à droite, à gauche) récupère un ancien chemin (rue Caponi, rue Diderot) traverse par une passerelle une cour privée…, bref, les traboules « tissent » un réseau (il existerait 230 traboules sur les pentes) aux rythmes faits d'ombres et de lumières (des cours et des rues traversées) et dont la trame relie entre eux les points singuliers de l'histoire locale et de la vie des habitants. La traboule est un espace de circulation piétonnier (vertical et horizontal) qui a perduré bien au-delà de son rôle de véritable circuit de marchandises. Certes, beaucoup se sont fermées, devenues inutiles, privées de débouchés par le simple fait de l'évolution du rapport public/privé. Car la première caractéristique de la traboule, et non des moindres, est son statut : la traboule est un passage privé ! Au cours des dernières décennies, ce statut d'espace privé lui a permis de conserver son rôle d'espace de distribution, mais lui a fait perdre sa vocation d’espace « public » de liaison. Car même si la chronique du quotidien n'a jamais révélé une dangerosité particulière à l'usage des traboules, le fait qu'elles distribuent les escaliers des immeubles a peu à peu incité les résidents à les fermer. Avec le renforcement de l'intime par rapport au collectif, avec les excès phobiques de la sécurité des biens et des personnes, la traboule devenait un lieu difficilement gérable : hors des compétences du pouvoir de police de la collectivité et totalement à la charge des habitants de l'immeuble. D'autant plus, que les résidents se sont peu à peu approprié les escaliers accessibles depuis les traboules. Des escaliers largement dimensionnés, éclairés naturellement et qui favorisent la rencontre et l'échange : les paliers sont larges, avec des vues surprenantes sur le voisinage, et parfois sur la ville. Cette fermeture de plus en plus généralisée des traboules était contraire à l'esprit même de la Croix-Rousse : sa réputation libertaire, son histoire faite d'actes de résistances favorisées par ce réseau labyrinthique de traboules, la convivialité même que favorisait ce réseau piétonnier, ne pouvait pas se conclure par la disparition de ce qui était en fait un exemple remarquable de pratique urbaine. Ce fut l'objet d'un véritable travail de concertation entre la ville et les propriétaires des immeubles traversés par des traboules, pour pérenniser leur usage, en l'absence de toute nécessité économique. La convention qui lie la ville et les copropriétés associe l'ouverture au public de ces passages privés (qui comprennent très souvent des escaliers et des cours) en contrepartie d'une participation de la ville à leur rénovation et leur entretien. Le résultat est une fréquentation de plus en plus large de ces traboules, sans problème majeur d'usages, ni mauvaises rencontres ! Sans trajets prédéfinis, la traversée des traboules s'apparente à une errance poétique. Néanmoins, la ville de LYON propose aujourd'hui des parcours fléchés à ceux qui ne souhaitent pas être déroutés par cette forme parfois souterraine de « dérive urbaine ». Les autres pourront découvrir à loisir, l'architecture et le paysage urbain des pentes de la Croix-Rousse, et rencontrer au hasard d'un débouché sur une cour ou un escalier, la diversité de la population qui vit et qui travaille à la Croix-Rousse. La traboule, en permettant d'autres parcours que ceux imposés par les rues de la ville, en faisant cohabiter le passage avec l'espace privé de l'immeuble, est un élément fondamental de la qualité résidentielle des pentes de la Croix-Rousse. L’esprit Canut Jean-Yves QUAY architecte-urbaniste - 3 juin 2009 - Le quartier des pentes de la Croix-Rousse à LYON 11/16 S’arrêter, l'espace public : « L'homme a besoin d'un enchevêtrement urbain pour croire qu'il peut arriver enfin quelque part, dans un lieu agréé par lui ». (5) Entre la rue et chez soi, nous attendons qu'il existe des espaces ordinaires comme la rue, mais nous recherchons aussi des espaces plus complexes, inattendus ou spectaculaires (extraordinaires), qui proposeraient autant de « tranches » de vie d’un quotidien toujours renouvelé même si tous les jours recommencé ! Lorsque l'agence d'urbanisme du Grand Lyon a mis au point la ZPPAUP, il fut mis en avant un caractère particulier des pentes qui fonde son irrésistible attrait : le côté à la fois protégé (on pourrait dire fermé) de l'espace public et son côté ouvert sur LYON et le paysage lointain. Par temps clair, ce sont les Alpes et le Mont-Blanc, la Vallée du Rhône et le mont Pilat qui se laissent admirer à l'horizon. En empruntant un escalier pour rejoindre la rue située en contrebas, ou depuis un jardin public, c'est la ville de LYON, ciselée dans cette lumière singulière que lui procure son site exceptionnel, illuminée par son fleuve et sa rivière ; c'est la colline de Fourvière, ses parcs et ses monuments, qui s'offrent comme un décor aux perspectives changeantes ! Ces vues et cette lumière qui donnent au quartier son caractère aérien « tissent » une autre trame qui vient se superposer à la trame des traboules. Cette trame large, faite de perspectives lointaines et remarquables, vient compléter la trame plus resserrée des traboules, aux débouchés incertains. La ZPPAUP des pentes de la Croix-Rousse a donc intégré cette « fabrique de perspectives » afin de veiller à conserver les cônes de vues, les belvédères, les débouchés visuels, qui en font un lieu unique. L'espace public des pentes de la Croix-Rousse s'est inspiré de la trame orthogonale des villes nouvelles (place Sathonay, place Chardonnet), de l'art des jardins (place du Forez, belvédères) et de la scénographie. Successions de plans, ponctuations, diaphragmes, défilements et décrochements, ouvertures et fermetures, tous les codes de la mise en scène viennent dilater l’espace public et l’espace collectif des vis-à-vis qui enserrent l’espace privé. Le besoin d'air, d'espace et de lumière qui a poussé les Canuts à venir s'installer sur ces pentes bien exposées a donné le jour à un quartier dont les qualités résidentielles ne sont pas le seul fruit du hasard et de la nécessité. Un quartier où l'enchantement se dispute à la prouesse architecturale, et qui a détourné les conflits entre intérêt collectif et la rentabilité privée pour en faire un territoire d'expériences spatiales exceptionnelles. Demeurer, l'immeuble : « Considérer l'acte d'habiter comme un foyer, non seulement de besoins, mais aussi d'attentes ». (5) Le quartier a été durablement marqué par la production textile et ses métiers, et l'on peut affirmer aujourd'hui que la Croix-Rousse est un site où a été inventée une forme d'habitat que ne renierait pas le mouvement moderne qui prônait le plan libre, l'espace et la lumière ! L'habitat du XVe au XVIe siècle L'habitat du XVe au XVIe siècle se trouve localisé le long des voies qui montent sur le plateau. Le long de ces anciennes voies, le parcellaire est étroit (parcellaire en « lanière »). Il s'agit à l'origine d'un parcellaire agricole, où les terrains s'allongent parallèlement aux courbes des niveaux, perpendiculairement aux voies. Ce parcellaire a accueilli un bâti construit en limite sur rue et généralement occupé par une famille dont l’activité est fortement liée au passage. L’esprit Canut Jean-Yves QUAY architecte-urbaniste - 3 juin 2009 - Le quartier des pentes de la Croix-Rousse à LYON 12/16 Derrière, un jardin permet de compléter le revenu familial (potager et/ou verger) et constitue aussi une réserve foncière. Le rez-de-chaussée de l'immeuble sur rue est occupé par une échoppe et la porte de l'allée. Il se compose généralement de 1 à 2 niveaux sur rez-de-chaussée ; le 1er est occupé par le propriétaire et le dernier niveau est réservé pour loger un ouvrier ou un apprenti. Les immeubles étant blottis les uns contre les autres, ils sont séparés par des murs pleins qui forment la structure porteuse de l'édifice. En effet, la parcelle étant peu large (5 à 7 m) les planchers et la charpente portent de mitoyen à mitoyen, libérant ainsi la façade de tout rôle porteur. À la Renaissance, les constructeurs perceront abondamment les façades libérées du poids des planchers et de la couverture. Il serait d’ailleurs intéressant de faire le rapprochement avec la façade à pans de bois qui permettait de par sa structure un rythme soutenu de percements. Le passage du pan de bois à la façade maçonnée fut non seulement un moyen d’éloigner le risque d’incendie, mais aussi une mutation de savoir-faire et de pouvoirs des charpentiers vers les maîtres maçons, avec le développement des carrières et la promotion du bois de charpente vers d’autres usages. Ce n'est peut-être pas un élément original de l'architecture lyonnaise, mais il est vrai que l'emploi de la fenêtre à meneaux donnera à LYON des façades très percées avec des larmiers qui associent les fenêtres comme pour annoncer, quelque cinq siècles auparavant, l'avènement de la fenêtre horizontale ou du mur-rideau ! Les plus anciennes de ces maisons sont encore visibles en bas de la montée de la Grande Côte ; les plus récentes (XVIe siècle) ont été démolies lors de la « rénovation » urbaine réalisée en haut de la montée de la Grande Côte, nous privant ainsi de pouvoir constater l'évolution d'un échantillonnage assez complet d’un habitat qui a gardé les qualités urbaines du faubourg, du village... L'habitat du XVIIe siècle Le XVIIe siècle sera à LYON le siècle de la densification urbaine compte tenu du peu d'espace disponible (on commence à endiguer le Rhône, on a construit une ligne de fortifications sur le sommet des collines) pour répondre au dynamisme de la cité. Sur les voies les plus actives, les plus passantes, le bâti ancien reste en place et les parcelles sont peu regroupées, aussi la densification se fait par surélévation ou par construction à l'intérieur de la parcelle. Les immeubles reçoivent un ou deux étages supplémentaires, et les toits (à doubles pentes) se font plus pentus pour créer des combles habitables. Puis, l'extension de la ville en hauteur se double d'une extension en profondeur pour exploiter toute la parcelle, ce qui compliquera plus tard la généralisation de l'îlot simple comme élément de composition urbaine. Les immeubles sont construits parallèlement à la rue, séparés par des cours. Ils sont reliés entre eux par des galeries que dessert un escalier, généralement l'oeuvre de maîtres maçons qui feront de l'escalier et de sa galerie des ouvrages de référence de par leurs qualités architecturales. Cette occupation spatiale sur toute la profondeur de la parcelle inaugure un système architectural qui fera les beaux jours de l'immeuble à galerie de la ville industrielle, et que l’on voit régulièrement réapparaitre dans des projets contemporains, même si l’économie autrefois recherchée (celle de la construction de l’escalier) n'est plus d'actualité… Cette configuration permettait même un changement d'usages en donnant aux propriétaires la possibilité d'habiter en « deuxième couche » afin de s'éloigner de la rue devenue trop bruyante ou trop polluée ! L'habitat du XVIIIe siècle Les pentes de Croix-Rousse possèdent la plus forte concentration d'immeubles du XVIIIe siècle à LYON. L’esprit Canut Jean-Yves QUAY architecte-urbaniste - 3 juin 2009 - Le quartier des pentes de la Croix-Rousse à LYON 13/16 D'abord concentré entre les limites des clos religieux et le centre civique des Terreaux (Hôtel de Ville, Théâtre), l'habitat va se densifier d'abord de façon ordonnée (quartier Saint-Clair, loti par Soufflot) puis selon la dynamique du lotissement que chercheront à encadrer ou à accompagner les édiles locaux. Cette activité lucrative qui consiste à lotir des propriétés afin de les rendre constructibles pour le plus grand nombre trouve aujourd’hui ses limites dans la banalité du plan de découpage parcellaire et des maisons construites sans architectes. Ce qui sauva la Croix-Rousse de cette banalisation, ce fut la pente irréductible du site et le rôle des édiles locaux, qui tant bien que mal réussirent à imposer quelques sains principes. Ainsi, l'habitat qui va être construit devra satisfaire des programmes sensiblement différents, mais avec globalement les mêmes principes spatiaux. Que ce soit au début du XVIIIe siècle pour abriter des marchands ou des familles fortunées, ou un peu plus tard pour recevoir les canuts, l'immeuble va devoir composer : - avec la pente ; - avec un parcellaire à inventer : le lotissement crée des parcelles à partir des propriétés religieuses sur des tènements qui varient de 0,5 à 24 hectares. La parcelle proposée à la construction voit sa largeur de façade doubler ou tripler par rapport aux parcelles bâties de la ville médiévale ; - avec des modes constructifs qui se spécialisent : pierres de taille, galandages à la place des cloisons en bois, usage du plâtre, de la terre cuite pour les sols, du verre (en provenance des verreries de Pierre Bénite et de Givors) pour les fenêtres qui s'ouvrent à la française, volets extérieurs puis persiennes, fer-blanc pour les chenaux et les abat-jours ; -avec le strict alignement des immeubles sur la rue ; - avec le désir de rechercher vues et lumière. L'immeuble bourgeois ou l'hôtel particulier adoptera généralement le plan en « U » qui permet d'adjoindre au corps de logis principal donnant sur la rue, deux ailes éclairées par une cour centrale. Les ailes reçoivent les pièces de services ou les chambres des domestiques. L'escalier devient un élément manifeste de la distribution des différents niveaux et ouvre sur la rue ou sur la cour. Grâce à l'emploi de limons réalisés d'un seul tenant (ou de deux pierres taillées et agrafées), l'escalier est réalisé avec des volées droites, s'adaptant ainsi plus facilement aux hauteurs d'étages à desservir ainsi qu'à un plus grand nombre de portes palières. Le balcon est introduit pour signifier l'étage noble ou le caractère soigné de l'édifice. L'immeuble possède généralement quatre niveaux sur un rez-de-chaussée haut (locaux d'activités pouvant être équipés d'un entresol servant de bureaux ou de logements au commerçant ou à l'artisan qui les loue). L'immeuble « Canut ». Le XIXe siècle verra l'apogée de l'immeuble Canut. À partir de 1820, la construction et le percement des voies s'intensifient à travers les clos et vont se poursuivre jusqu'au début de la Première Guerre mondiale, qui coïncidera avec la fin de la prospérité de la soierie. L'immeuble Canut va se développer à partir du type de l'immeuble bourgeois, mais en adaptant son plan et sa distribution à une fonction particulière qui associe intimement vie familiale et travail à façon, dans un contexte de spéculation immobilière effrénée. Les constructeurs vont alors exploiter à la limite des possibilités techniques de l'époque, les pistes « ouvertes » par l'immeuble du XVIIIe, le décor en moins ! Le relief (la pente varie de 11 à 20%) est littéralement absorbé par le système constructif : la hauteur maximale de la façade imposée sur la rue (jusqu'à 25 mètres) donne parfois des façades sur cours vertigineuses. L’esprit Canut Jean-Yves QUAY architecte-urbaniste - 3 juin 2009 - Le quartier des pentes de la Croix-Rousse à LYON 14/16 Le programme des immeubles permet un empilement de niveaux (généralement 6), tous semblables, et définis par leur capacité à recevoir un atelier de tissage (la loi de 1744 fixait à 4 le nombre de métiers à tisser que pouvait posséder un ouvrier en soie). En 1815, il existait 18 à 20 000 métiers, 60 000 en 1847, pour descendre à 10 500 en 1876, annonçant la fin proche de la fabrique lyonnaise. La surface optimale est de 75m2 sur la base d'un rectangle de 13m x 5,5m avec une hauteur sous poutre variant de 3,75 m à 3,90 m. Dans ce volume, la partie domestique occupe une dizaine de m2 dans un angle avec une souillarde surmontée d'un plancher qui reçoit le couchage de toute la famille. Généralement, l'immeuble est composé de 4 logements/ateliers desservis par un escalier à volées droites, ouvert sur la cour. Chaque logement/atelier est éclairé par de grandes fenêtres rapprochées sur une seule façade, et séparé du voisin ou de l'escalier par un mur de refend porteur. Ces murs de refend innovent un nouveau type d'immeuble, où chaque niveau peut recevoir plusieurs logements/ateliers portés et isolés par ces murs maçonnés (ils sont coupefeu d'origine, ils deviendront une séparation phonique), et permettent d'isoler l'escalier dans un volume type, facilement reconductible ! Dans cette production, l'escalier devient la « signature » de chaque immeuble, tant cette technique épurée permet une grande variété formelle. À partir de poteaux, de limons en pierre dont la minceur (± 18 cm) rend encore plus spectaculaire le nombre de niveaux desservis (jusqu'à 6 en tenant compte des niveaux situés en contrebas), ces escaliers, à la fois au service de l'immeuble et du quartier lorsqu’ils relient des traboules, sont des oeuvres architecturales à part entière, avec des volées allant jusqu'à 12 m de longueur (escalier de la cour des Voraces), avec des murs noyaux pour la plupart ajourés, des grandes dalles en pierre (calcaire, à gryphées) pour les marches et les paliers, des colonnes aux styles variés (en pierre ou en métal), des paliers s'avançant en balcon sur la cour. Les limons sont soutenus par les paliers et les volées reçoivent de beaux garde-corps en serrurerie. Ces escaliers sont souvent en résonance avec d'autres escaliers, donnant à ceux qui les gravissent comme à ceux qui les contemplent, des vis-à-vis aussi étonnants qu'inattendus ! La peine de l'ascension est généralement récompensée par une vue splendide sur les toits et la ville en contrebas ! Et grâce à l’évolution des techniques (l'ascenseur se démocratisant) on fera de beaucoup de mansardes des logements exceptionnels, dans un facétieux retournement de situation… Comme la plupart de rues sont parallèles aux courbes de niveau, il y a peu de façades « en escalier ». Par ailleurs, les façades sont sans décors et très plates (peu de relief, pas de creux) ce qui accentue les perspectives vers les cieux aux lumières changeantes. L'absence de traitement d'angle permet à l’immeuble de se retourner sans prendre parti sur la direction à privilégier, donnant ainsi aux rues une continuité formelle assez originale, presque immatérielle. L'activité a besoin de lumière, la baie doit être grande (1,30 m x 2,50 m) et répétée le plus possible en façade. Au rez-de-chaussée, des volets abattant et recouverts de fer blanc permettent d'augmenter la luminosité au fond des cours. Les trumeaux deviennent des poteaux et la fenêtre un véritable système de gestion de la lumière. Là aussi, le larmier qui parfois relie les fenêtres ou les horizontales créées par les appuis de fenêtre semblent annoncer la venue de la fenêtre horizontale. Les stores à lames de bois orientables qui équipent les fenêtres permettent de filtrer la lumière et donnent à la façade son décor grâce aux lambrequins qui cachent et protègent les lames lorsqu'elles sont relevées. Les matériaux utilisés font une large place aux pierres extraites de carrières proches. Les soubassements jusqu'au 1er étage sont obligatoirement construits en pierres de choix, audessus les murs sont construits en galets ou moellons enduits avec un mélange de chaux et de sable de Saône ; les pierres de taille extraites sont utilisées pour les escaliers, les linteaux, les rez-de-chaussée. Elles proviennent des carrières de Villebois (dur, gris ou blanc) des collines proches de Saint-Fortunat (dur, gris-bleu en profondeur, jaunâtre en surface et marqué par des fossiles d'huître), de Couzon (pierre jaune ou pierre dorée), voire de plus loin, en provenance des carrières de Seyssel pour rechercher le blanc immaculé. L’esprit Canut Jean-Yves QUAY architecte-urbaniste - 3 juin 2009 - Le quartier des pentes de la Croix-Rousse à LYON 15/16 Les poutres sont en chêne ou en châtaignier et les sols sont pavés (carreaux de grès de Verdun-sur-le-Doubs). Les constructeurs se voient seulement imposer la hauteur des constructions en fonction de la largeur de la rue (avec un rapport de 3 pour 1), le recours à un architecte et l'interdiction de construire en terre. En 1849, un édit tentera de faire baisser les hauteurs, mais trop tardivement, pratiquement tout était construit ! Mais l’habitat avait pris possession des pentes : « habiter, c'est construire son temps dans l'espace » (7) Patrimoine et habitat contemporain « La tradition est ce qui donne la faculté d'anticipation, qui permet de savoir ce qui va durer quand on crée ». (8) Aujourd'hui, les pentes de la Croix-Rousse offrent un heureux mélange de rues de village, de rues « corridor », bordées de longs îlots que peu de carrefours viennent aérer (la moitié seulement des rues est dans le sens sud/nord, sens de la pente ; les autres suivent majoritairement les courbes de niveau). Des places en belvédères, des jardins privés et publics ponctuent le site de lieux singuliers. Les immeubles offrent de grandes surfaces habitables (de 70 à 100m2) avec des volumes généreux (de 3,50 à 3,90 m de HSP), sans points porteurs : c'est le plan libre revendiqué par le mouvement moderne, le volume en plus. Les baies dimensionnées pour pérenniser la Fabrique lyonnaise de soie, en étage et en milieu urbain, ont créé un système architectural préfigurant le mur-rideau et qui offre aujourd'hui des qualités de vues et de lumière que n'atteignent pas nombre d'immeubles contemporains. L'espace urbain est complexe et varié, il valorise le parcours, la promenade, mais aussi la rapidité de la desserte piétonne grâce à son formidable dédale de rues et de traboules. L'espace est aujourd'hui généreusement disponible sur les pentes de la Croix-Rousse ; le site aéré offre vues, ensoleillement et une praticabilité piétonne exemplaire (les pentes furent équipées d'un funiculaire à piétons qui fut une première mondiale !) La compréhension de l’architecture des immeubles, la juste évaluation de la simplicité des formes bâties et de leur sens de la mesure (peu ou pas de décor, détails architecturaux épurés, développement de l'escalier en véritable système spatial) devrait inciter à l'innovation architecturale. C'est même un véritable challenge économique et architectural, si on réfléchit un peu à l'espace et à la souplesse d'usage qu'offre ce type d'immeuble. La ZPPAUP créée en 1994 (révisée en 2001) a su mettre en perspective ce rapport subtil entre l'espace à protéger, qui est décrit et pérennisé, et le bâti qui l'encadre, qui peut être renouvelé. Depuis la convention « Cour Traboule » adoptée en 1990 qui permet d'ouvrir les traboules à la déambulation en associant la Ville de Lyon et les copropriétés mettant ainsi à la disposition du public une quinzaine de traboules, deux PRI (Périmètre de Restauration Immobilière) se sont succédé pour mettre en valeur le patrimoine, d'autant que depuis 1978, l'OPAH (Opération Programmée de l'Amélioration de l'Habitat) des pentes a favorisé la réhabilitation de plus de 3 000 logements. Les rez-de-chaussée font l'objet d'une attention particulière sur les rues les plus passantes, grâce à des subventions du Fond d'Investissement pour les Services, l'Artisanat et le Commerce (FISAC) et aux Micro Implantations Florales (MIF) qui viennent peu à peu perforer les trottoirs d'un fleurissement aussi inattendu que partagé par les habitants. Les prescriptions et le zonage du POS (Plan d'Occupation des Sols) puis du PLU (Plan Local d'Urbanisme) ont intégré les caractéristiques sociales et physiques du quartier afin de promouvoir une architecture s’en inspirant. L’esprit Canut Jean-Yves QUAY architecte-urbaniste - 3 juin 2009 - Le quartier des pentes de la Croix-Rousse à LYON 16/16 Depuis 1984, 50% des 620 logements construits sont des logements sociaux. Le quartier « favorable aux mixités sociales et culturelles » (9) ne s'est pas replié sur lui-même et a su recevoir des pratiques contemporaines de l'habiter. « Habiter, c'est habiter ensemble dans la différence » (10) Citations : (2) (4) (7) (10) B. SALIGNON "Qu'est-ce qu'habiter. Réflexion sur le logement social à partir de l'habiter méditerranéen" Nice CSTB Z'Éditions - 1992. (5) (6) P. RICOEUR " Architecture et narrativité" in URBANISME N° 303 – 1998(3) P.SENSOT "Du bon usage de la lenteur" Ed. Manuels PAYAT - Paris 1998 (8) L. KAHN " Silence et lumière" Ed. du Linteau - Paris 1996 Avec mes remerciements pour leurs conseils et les orientations documentaires à : Luc VOITURIER, adjoint du 1er arrondissement de Lyon, entretien du 27/10/2008 (cité en 1 & 9) Philippe LAMY, architecte Ville de Lyon, Georges BOISCHOT, architecte Agence d'urbanisme de la Ville de Lyon. Sources documentaires : "Lyon, l'art et la ville" Gilbert GARDES éditions du CNRS – 1988 "Les Pentes de la Croix Rousse : histoire des formes urbaines : urbanisme, architecture, occupation sociale" Agence d'urbanisme de Lyon ; Université Lyon 2; CNRS; M.H BENETIERE; A.S CLEMENÇON; N.MATHIAN – 1992 "La traboule comme réalité urbaine : étude morphologique et projétation autour des traboules croix ROUSSIENNES." C. CAYRAT- DUMAS ; M. GAUTRAND – Ecole d'architecture de Lyon – 1989 " Ville de Lyon - ZPPAUP des pentes de la Croix Rousse" Agence d'urbanisme de la communauté urbaine de Lyon – 1994 "HISTOIRE DE Lyon " A. PELLETIER & J. ROSSIAUD éditions Horvath

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