Retour à tous les événements

L’ODYSSÉE DES TISSEURS LYONNAIS DE LOUIS XI A 1830

Synthèse de la conférence faite par Françoise CHAMBAUD et Bernard WARIN au cinéma Saint Denis (Lyon 4) dans le cadre de la manifestation « Novembre des Canuts »

Questions / réponses par siècle :

  • - A partir de quel moment la soie est-elle associée à la ville de Lyon ?

    La soie est présente sous forme de soieries, à l’occasion des foires qui sont installées depuis le début de ce siècle.

    - Ces foires étaient-elles importantes ?

    Oui, elles avaient lieu initialement deux fois par an et duraient six jours. Elles comptaient 5 à 6000 marchands et voyageurs pour une population estimée au début du siècle à 50 000 habitants. Louis XI va, en 1463, porter à 4 le nombre de ces foires, soit une par trimestre d’une durée de 10 jours ; elles étaient respectivement nommées la « foire des Rois », « de Pâques », « d’Août » et « de Toussaint ».

    Le roi a besoin d’une ville riche pouvant lui prêter de l’argent et veut concurrencer Genève qui s’était développée depuis l’effondrement des foires de Champagne.

    - Où avaient-elles lieu ?

    En différents endroits bien identifiés : Sur la rive droite de la Saône entre Saint Paul et Saint Jean, sur la presqu’île, rue Mercière et entre les places Confort et des Terreaux. Les rues sont spécialisées, les cuirs sont à la Grenette, la mercerie près de Saint-Nizier et la quincaillerie, place Confort, etc… Les marchandises sont présentées en boutique, sur tréteaux, ou à même le sol.

    - Quels produits y vendait-on ?

    On y vendait des matières premières comme le verre, l’acier ou le papier, et des produits manufacturés comme les draps, les futaines et autres toiles de chanvre venues de toute la France, Auvergne, Bresse, Normandie, Provence et de l’étranger, des Flandres et d’Italie.

    - Et les soieries ?

    Ce sont de magnifiques soieries d’Italie issues de Lucques, de Milan, de Florence et de Gênes. Il en est aussi d’espagnoles, importées de Valencia, Murcia et Toledo, sans oublier quelques soieries lyonnaises en étoffes unies. Toutes transitent par Lyon depuis que Charles VII a accordé dès 1450, le monopole du commerce des soieries à la ville.

    Les Italiens chassés par les guerres civiles commencent à s’installer à Lyon à la fin du quatorzième siècle. Pour eux, Lyon est bien placée pour diffuser « épices » et soieries. Originaires de Lucques et de Florence, ces grands marchands, notables et banquiers, bénéficient de la double nationalité. Ils vivent pour la plupart, dans le quartier de la Juiverie (Saint-Paul) et forment la « Toscane Française » où l’on distingue les GUADAGNI, les BONVISI, les GONDI, les CAPONI.

    - Quel mobile pousse Louis XI à intervenir à Lyon en l’an 1466 ?

    Louis XI dont le Larousse nous dit qu’il fut « l’un des plus remarquable artisan de la grandeur française » a pour la ville un projet bien arrêté, créer une manufacture royale à Lyon. Voici ce qu’il dit :

    « … Comme nous considérons la grande vidange d’or et d’argent qui se fait chaque année dans notre royaume par l’achat de draps d’or et de soie pour 500 000 écus, nous ordonnons que l’art de la fabrique de soie soit introduit dans notre ville de Lyon, où comme l’on dit, il en existe déjà un commencement…. »

    Un peu plus loin, il rajoute : « …que dix mille personnes tant de la ville que des environs, qui à présent sont oiseux, y auront honnête et profitable occupation. »

    - Comment les Lyonnais ont-ils réagi ?

    Comme on dit : « Ils n’étaient pas très chauds. » Les bourgeois et les notables craignent une remise en cause des prérogatives de leur cité qui jouit d’une charte communautaire depuis 1320, placée sous l’autorité des échevins. De plus, le roi veut lever à Lyon, un impôt de 2000 livres tournois pour couvrir les dépenses de l’installation. Enfin, l’activité commerciale avec les Italiens est florissante pour les marchands de la ville, aussi ils vont faire trainer le paiement de la taxe et vont refuser d’aider financièrement les quelques ouvriers venus s’installer. Ceux-ci « déçus dans leurs espérances, retourneront d’où ils étaient venus. »

    - Quelle fut la réaction de Louis XI face à cette attitude ?

    Il n’insiste pas et ordonne, en 1470, le transfert à Tours des ouvriers venus à Lyon et le paiement par la ville des dettes qu’ils avaient contractées envers les commerçants.

    - Que reste-t-il à Lyon ?

    Une vingtaine de tisseurs de taffetas ; des tissotiers, des passementiers et des rubantiers.

  • - Y a-t-il des éléments qui prédéterminent la ville de Lyon à accueillir une manufacture de soieries ?

    Oui, François 1er désire « peupler et augmenter Lyon qui est l’une des principales clefs et frontières du royaume ». Y créer une manufacture sera doublement préjudiciable à l’étranger, en se passant de ses soieries et en agglomérant un peuple d’artisans qui pourra devenir un peuple de soldats (rappelons que les Génois, producteurs de velours, viennent de changer d’alliance et sont devenus des ennemis). Ajoutons que Lyon est déjà une ville marchande (argent) et un important centre religieux (vêtements d’église) et que sa proximité avec l’Italie serait propice à faire venir « les soies et les ouvriers. »

    - Comment cela va-t-il se passer ?

    Le roi prend la suite des guerres d’héritage engagées par son prédécesseur Louis XII en Italie. En 1530, il engage contre Charles Quint sa huitième guerre d’Italie, alors que la ville de Gênes, jusqu’ici alliée à la France, devient son ennemie.

    - Quelles vont être les circonstances qui vont conduire à l’introduction d’une manufacture de soieries à Lyon ?

    Ce sont deux hommes qui apparaissent, un piémontais et un Gênois installés à Lyon : Etienne TURQUET et Barthélémy NARIZ : le premier, un notable naturalisé, est recteur puis trésorier de l’Aumône Générale (1535). Il exerce la profession de marchand et c’est à ce titre qu’il est associé à son compatriote Barthélémy NARIZ. Ceux-ci possèdent une boutique dans le quartier riche de la Saônerie (quai de Bondy – salle Molière) où il tient un magasin de soieries de Gênes et une boutique, contiguë, de harengerie.

    Ces deux hommes ont un projet : faire venir de Gênes des ouvriers en drap de soie pour établir à Lyon une manufacture. Ils s’adressent au consulat, soutenus par Thomas de GADAGNE dit « le magnifique » lui-même consul. Leur discours est bien argumenté et les échevins font part au roi de cette requête à l’occasion de son retour d’une expédition en Provence d’où nous dit-on « il avait chassé l’Empereur et ses forces ». François 1er convaincu par les arguments des deux entrepreneurs leur accorde par lettres patentes « ainsi qu’aux ouvriers étrangers qui viendront besogner et résider en notre ville de Lyon, avec leur femme et leurs enfants » de nombreux privilèges. « Ce sera, ajoute le roi, « un gros bien pour notre royaume et pour la ville et la totale ruine des Génois ».

    TURQUET fait venir des ouvriers de Gênes, d’Avignon et de Tours. Ils installent des ateliers de tissage, de teinture et de dévidage au niveau des fossés de la Lanterne. Au bout de trois ans, une quarantaine de métiers sont installés. La main d’oeuvre est fournie par l’Aumône générale dont on sait que TURQUET en est le recteur puis le trésorier.

    En 1540 est créée la corporation des ouvriers en draps d’or, d’argent et de soie et deux maitres-gardes sont nommés : Etienne TURQUET et Raoul VIARD. En 1540 TURQUET et NARIZ fondent la première société commerciale d’initiative privée au capital de 2000 écus (6000 livres). La fabrique lyonnaise est née. Au milieu du siècle, le consulat adresse une requête à Henri III pour obtenir un règlement ayant pour but « d’extirper les abus, malfaçons tromperies et querelles. » Celui-ci est donné au mois d’avril 1554 avec l’accord des maîtres-ouvriers et compagnons.

    - Avant d’examiner ce règlement, peut-on évaluer le nombre d’ouvriers ?

    La liste officielle des ouvriers de l’art de la soie établie par le Consulat compte exactement deux cent vingt quatre personnes : 164 veloutiers, 34 taffetatiers, 11 fileurs de soie et 15 teinturiers, chiffre que l’on peut doubler, nous dit Justin GODART, si l’on ajoute les dévideuses et les apprentis. Cette liste permettait au Consulat de délivrer aux maîtres concernés les attestations qui leur accordaient les avantages des lettres royales. Ce règlement est léger, il comporte vingt et un articles dont l’observation ne diminue en rien la liberté de chacun d’entrer dans la profession. Une distinction est faite entre maîtres et compagnons mais ces titres ne valent qu’au regard de l’habileté ou la fortune de ceux qui les obtiennent. Chacun travaille pour son compte dans sa propre boutique ou se met au service d’autrui. Quatre maîtres-gardes sont chargés de veiller à l’application du règlement et de résoudre les conflits entre les membres de la communauté. Deux sont nommés par le consulat et deux par les maîtres-ouvriers. Ils se réunissent une fois par semaine et une ordonnance consulaire plus tardive (1624) règle que chaque dimanche à la sortie de la messe à l’église des Cordeliers, « les maîtres-gardes devaient ouïr les plaintes de ceux du métier. » Justin GODART nous dit que cette juridiction des maîtres-gardes devait servir de modèle lointain au Conseil des Prudhommes. (1806)

    - Ce règlement va-t-il rester en l’état ?

    Il va être modifié par le règlement plus restrictif du 28 mars 1596. En effet, le travail n’est plus assez abondant aussi « faut-il diminuer le personnel de la communauté. » Ce règlement limite à deux le nombre d’apprentis que pourra occuper un maître plus un orphelin confié par l’Aumône Générale. La durée de l’apprentissage est fixée à cinq ans et celle du compagnonnage à trois ans. Enfin, les maîtres n’ont pas le droit de faire travailler leurs servantes (auxiliaires) sur les métiers.

    - Comment peut-on expliquer ce durcissement ?

    Tout d’abord par les troubles que connaissent la France et Lyon dès la seconde moitié du siècle : En 1562, les protestants occupent Lyon et l’année suivante la peste et la disette s’abattent sur la ville. En 1572 les massacres de protestants font écho à Lyon à ceux de la Saint-Barthélemy. Ces conflits violents seront apaisés par Henri IV qui va imposer en 1598 l’Edit de Nantes. Ensuite la crise économique résultant d’un déplacement de l’activité commerciale de la Méditerranée vers l’Atlantique va provoquer le déclin des foires. Les Lyonnais se plaignent au roi : « semblent les foires de la dite ville jadis tant célèbres, plutôt marchés de villages que foires royales… »

    - Où sont passés les habitants ?

    Ils sont partis. Lyon est passé de 50 à 30 000 habitants. Dans les temps de crise et de misère, la population ouvrière est très mobile, les apprentis et compagnons rejoignent leur région d’origine et reviennent dès que le travail reprend. Il faut dire que Lyon, ville marchande n’a jamais pu obtenir des rois, malgré de nombreuses demandes, un parlement (cour de justice) et une université. Leur crainte était que les notables n’abandonnent le commerce (et plus tard l’industrie) pour les charges.

  • Ce siècle aux trois rois, Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, est aussi un siècle de guerres : reprise de la guerre d’Espagne (1667), de Hollande et des Pays Bas (1672) guerres aux motifs religieux, d’héritage, de conquête, mais en réalité guerres économiques où les princes se partagent l’Europe et le monde. Ces guerres provoquent des disettes, du chômage et des épidémies. Des révoltes de paysans éclatent comme celle des « Croquants » (1624 et 1637).

    On l’a vu dès la fin du 16ème siècle, Lyon est une ville morte où « le peuple s’écoule. » Les imprimeurs lyonnais sont partis à Genève, les chapeliers et les ouvriers en laine ont rejoint le Piémont et le duché de Milan et les ouvriers en soie retournent à Gênes ou en Avignon.

    - Lyon est-elle encore italienne ?

    Non, Lyon l’italienne n’est plus ! Les banquiers et marchands ont quitté la ville et ne reviendront pas. Les Suisses et les Allemands arrivés un peu plus tard restent, tels les MASCRANY originaires des Grisons. Les foires ne sont plus vaillantes et le système bancaire est affaibli par la crise économique liée aux guerres civiles.

    - Cela n’est pas bon signe. Comment la Fabrique va-t-elle s’en sortir ?

    En mobilisant les trois acteurs principaux qui sont le consulat, les professionnels et l’Etat.

    1 - Le consulat installe dans la ville une série de nouvelles industries : une manufacture de tapisseries « à la manière de Bergame », une fabrique à apprêter et à teindre les bas et un atelier de tissage de velours en poil de chèvre, un autre de crêpe imité de ceux de Bologne. Quant aux treillis, camelots et futaines, ces tissus pelucheux de laine et de coton fabriqués à Lyon depuis 1570, ils vont émigrer dans le Haut Beaujolais qui va en exporter chaque année cinq cents tonnes vers l’Espagne. Nous voyons là qu’il n’y a pas que la soie à Lyon !

    2 – L’action des professionnels : ils vont améliorer leurs techniques. A ce moment, la demande est de s’émanciper des Italiens et de parvenir à confectionner, comme eux, des tissus façonnés aux armures complexes et aux décors variés. Ces tissus étaient à la mode. En réponse le Consulat lyonnais va proposer les compétences d’un maître-ouvrier fabricant veloutier d’origine milanaise, Claude DANGON, à qui il sera confié deux missions : imiter le mieux possible les étoffes italiennes et former des apprentis.

    Claude DANGON va faire venir des métiers d’Italie, dits « à la grande tire » et par tâtonnements et essais successifs, peut-être aidé de professionnels italiens, va parvenir à réaliser des étoffes façonnées à très grands rapport de dessin, à effets compliqués et à couleurs multiples qu’il montre directement au roi, lequel va le subventionner généreusement et lui donner le titre de Maître-Ouvrier du Roi. Comme convenu, Dangon forme à ses méthodes de nombreux tisseurs. Hugues MEY va découvrir le lustrage du tissu que son fils Octavio va ensuite perfectionner. Enfin HONORAT va perfectionner le système de tréfilage du lingot d’or avec l’argue, une machine dotée de filières successives qui transforment le lingot en fils de plus en plus fins.

    - Quel est le style des tissus ?

    C’est un style que l’on peut qualifier de français en ce qu’il se dégage progressivement de l’influence italienne : ce sont des étoffes à grands dessins dont la composition symétrique, autour d’un puissant motif floral, se déploie jusqu’à recouvrir presque complètement le fond. Les dessinateurs « montent » à Paris, aux Gobelins pour se former.

    - Y avait-il des étoffes unies ?

    Bien sûr, mais il faut d’abord les définir ! Ce sont des étoffes sans décor, constitué d’une armure simple comme le taffetas, le sergé et le satin, répétée uniformément sur toute la surface. Les techniciens consultés nous ont affirmé que ces tissus, contrairement à ce que l’on pouvait penser, étaient plus difficiles à réaliser que les étoffes façonnées. Ces étoffes unies étaient essentielles pour la Fabrique puisqu’elles représentaient selon les époques de 70 à 90% de la production.

    3 – Le rôle de l’Etat

    Dès le début du siècle, l’Etat va jouer un rôle actif. Tout d’abord en ce qui concerne la matière première, jusque là importée d’Italie, d’Espagne et d’Avignon. Henri IV convaincu des profits que la France pouvait retirer de l’industrie de luxe va s’appuyer sur son ministre Barthélémy de LAFFEMAS pour réduire les importations et développer les manufactures royales, notamment celles de soieries. Pour produire la matière première, la soie grège, que la France importe d’Italie, d’Espagne et du Levant, LAFFEMAS va faire appel à un agronome de renom, Olivier de SERRES, qui vient de publier en juillet 1600 « Le théâtre d’Agriculture et Ménage des champs ». En 1602, le roi fait distribuer dans toutes les généralités du Centre et du Midi son traité de sériciculture intitulé « ma cueillette de la soie, par la nourriture des vers qui la font »* et ordonne à chaque paroisse de Touraine, du Beaujolais, du Lyonnais, du Dauphiné, du Languedoc et de la Provence de planter des mûriers et de bâtir des magnaneries. Il fait établir des pépinières royales à Toulouse, Moulins, Tours et Nantes. Plus tard, dans la seconde moitié du XVII siècle, l’Etat représenté par COLBERT**, l’homme lige de Louis XIV, va imposer à Lyon, avec l’aide du consulat, un remaniement complet de la Fabrique. Il s’agit d’augmenter la production, de réduire les importations et d’améliorer la qualité des étoffes. Ce remaniement prendra la forme du règlement de 1667. Il compte soixante sept articles et établit trois classes dans la Fabrique : les maîtres-marchands, les maîtresouvriers à façon et, entre les deux, les maîtres-ouvriers fabricants.

    - Que veut dire ce règlement ?

    Il réintègre les marchands dans la communauté qu’une ordonnance de 1619 avait écartés. Il assimile les maitres-ouvriers à façon aux compagnons : « les maîtres qui travailleront à façon à cause de leur indigence subiront les mêmes lois que les compagnons » par exemple en leur imposant la tenue d’un livret d’acquit (où vont s’inscrire les situations des tisseurs, leurs dettes, leur patron donneur d’ordre, etc… Il entérine la nomination de six maitres-gardes dont quatre marchands et seulement deux tisseurs. Il limite l’accès à la maîtrise en imposant un seul apprenti par atelier. Il y avait, disait-on « trop de bras et pas assez d’ouvrage… ». Nous voyons ce règlement comme une véritable mise au pas de la Fabrique, dominée par l’Etat et les marchands. Ce règlement déclenche une émeute dans la ville. Trois articles seront suspendus. Il sera très mal appliqué, au point que COLBERT s’en plaindra.

    - Qu’en est-il des conditions de vie quotidienne ?

    Voici deux exemples de conditions et de destins différents :

    Nous sommes en 1645. Les recteurs de l’Aumône Générale viennent faire, comme ils en avaient le droit, l’inventaire du défunt Jean DAGAN, un maître-ouvrier en soie, demeurant proche de la porte Saint Georges où il occupait avec sa famille une petite maison étroite de trois niveaux., La plus jeune de ses filles est présente. Elle explique que son père avait été malade et que son travail avait été interrompu. Aussi, avait-il dû emprunter quelques deniers pour subvenir à son entretien et à celui de ses enfants.

    Voici l’inventaire :

    « En bas : une table en noyer et deux bancs. Un lit à colonnes en noyer avec paillasse, couverte et coussin de plumes, le tout fort usé et rompu. Deux coffres en noyer dont un fermant à clef, trois coffres à bahut. Une bassinoire, un pot au feu avec son couvercle, une poêle à frire, quatre cuillères en fer, deux chopines en étain, une petite lampe en fer blanc, une caisse à sel et une petite « barille » de vinaigre. Au mur : une épée et une hallebarde pour assurer son tour de garde, le maître faisant partie du « pennonage » de son quartier. A l’étage : La chambre des enfants : une table en noyer, un buffet de sapin fort vieux, trois lits et paillasses, quatre draps tout rompus, le défunt ayant vendu ce qu’il avait de plus beau pour s’assister. Au grenier : deux métiers propres à l’art de la soie, tout démontés et dégarnis, un rouet propre à faire les canettes. Enfin, quelques méchants habits de valeur nulle. » On voit là, cinq personnes vivant du travail du maître. Pas d’épargne. Le maître disparu, l’Aumône générale va recueillir l’enfant qui sera formé et, plus tard, placé dans la Fabrique.

    Un peu plus loin, du côté d’Ambérieux, un jeune garçon de 13 ans s’apprête à embrasser la profession de son père vigneron. Il deviendra marchand, puis fermier de rentes. Il sera à l’origine de quatre générations de marchands et de collecteurs de revenus ecclésiastiques ou seigneuriaux. La cinquième génération verra naître en 1786 Claude Joseph BONNET qui deviendra l’un des plus puissants soyeux du 19ème siècle. Il aura sous ses ordres quelques 2600 ouvriers dont 1400 tisseurs.

    - En cette fin du 17ème siècle il nous faut évoquer un événement important qui est la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en 1685. A-t-elle eu des répercussions sur la Fabrique lyonnaise ?

    Oui, Justin GODART nous dit précisément que 552 maîtres et apprentis quittent la Fabrique pour se répartir en Suisse, en Allemagne ou en Hollande où ils sont recherchés pour leur savoir faire. Par exemple, l’Angleterre accueille quelque trente mille personnes sur les deux cent mille huguenots français qui s’en vont. Venant de Tours, Nîmes et Lyon, ils vont s’installer à Londres, dans le quartier de Spitalfields spécialement construit pour eux. Il y a autre chose qui a eu des répercussions sur la Fabrique : ce sont les indiennes : ces toiles de coton, peintes ou imprimées, fabriquées en Inde puis en France à partir du XVIIème siècle. Bien que leur importation ait été interdite par LOUVOIS en 1686, cette interdiction n’a jamais vraiment été appliquée. Mais on va jusqu’à brûler ces étoffes publiquement, comme c’est le cas dans le quartier de Vaise.

    - Comment peut-on conclure ce 17ème siècle ?

    En disant que Lyon a réussi sa mutation. Elle est devenue une grande ville industrielle tout en maintenant sa place financière. La construction de la Loge du change en 1634 vient le confirmer. La population va atteindre en cette fin de siècle quelque 100 000 habitants.

    - Comment l’expliquer ?

    Par un phénomène de flux migratoire réversible : lorsque tout va bien, que le commerce et l’industrie prospèrent, il y a un apport rapide de migrants qui sont soit des forains, soit des étrangers, et quand les temps sont plus durs, un retrait se produit tout aussi rapidement. On voit que l’immigration est ici essentielle en venant combler le déficit démographique des villes où le nombre des naissances est presque constamment inférieur à celui des décès. Lyon est véritablement devenue la ville de la soie, mais au prix d’une affirmation du pouvoir royal.

  • - Comment se présente la situation générale en ce début du 18ème siècle ?

    Nous sommes dans le temps de la guerre de succession d’Espagne qui va durer douze ans (1701-1713) : elle met la France, dit le Larousse, « au bord de la ruine ».

    Après la mort de Louis XIV en 1715, les deuils multiples se succèdent dans les familles royales françaises et espagnoles. Ils provoquent des « édits somptuaires » imposant à la Cour et à l’aristocratie, pour de longues durées, le port de vêtements sobres et sombres. Ces édits sont redoutés par les ouvriers de la Fabrique qui sont mis au chômage du fait de l’arrêt des commandes. Ainsi, cette supplique des ouvriers en soie adressée au roi lors de la mort du Dauphin, fils de Louis XV, en 1766 : « Six mois de deuil pour le Dauphin ! Dix ans si l’habit noir peut lui rendre la vie, Mais aux pieds d’Atropos comme on gémit en vain, Parce qu’il est mort de maladie, Faut-il que nous mourrions de faim ? Sire, du travail ou du pain ! »

    On voit que la Fabrique lyonnaise est une industrie fragile parce qu’elle est une industrie de luxe.

    - Cette situation va-t-elle se prolonger ?

    Heureusement non. A partir des années 1720 (sacre de Louis XV : 1722 – mariage 1725) la Cour sort de l’atmosphère morose du début de siècle. Elle aime les fêtes et les plaisirs et demande des étoffes somptueuses. Ce sont les styles « régence » ou « rococo » (rocailles) qui remplacent peu à peu les étoffes lourdes et épaisses à grands ramages. Les décors sont dits « à la dentelle, à la fourrure ou au ruban. » La mode varie : la robe volante avec son dos flottant emploie des étoffes tout aussi somptueuses, mais plus légères et plus souples.

    - La Fabrique va-t-elle s’adapter ?

    Oui, parce qu’elle est techniquement au point et fait preuve d’une remarquable capacité d’adaptation. Le métier « à la grande tire » permet l’invention de nouveaux tissus comme les velours façonnés ciselés et brochés. Ceux-ci vont faire la renommée de Lyon. Madame de POMPADOUR, la favorite de Louis XV sera la plus grande consommatrice de soierie du royaume. Les commandes royales pour les tissus d’ameublement font vivre la Fabrique (pour Louis XV en 1730 et pour Louis XVI en 1785.) Les fabricants comprennent qu’il faut pour élargir leur clientèle, se faire connaître au-delà des frontières. Ainsi, Etienne PERNON va envoyer son fils Camille parcourir l’Europe et fréquenter les Cours d’Espagne, de Pologne et de Russie.

    - D’où vient ce renouveau ?

    Il est dû à la qualité de nombreux dessinateurs. Ils possèdent une formation artistique et technique comme la « mise en carte » qui reporte sur un papier quadrillé le dessin d’un tissu. L’histoire retient les noms de Jean REVEL (1684-1751) et de Philippe de LASSALLE (1723-1804) mais on peut citer RINGUET, ROUSSEL, LALLIÉ et MICHALET.

    Ce renouveau est dynamisé par d’ingénieux mécaniciens qui vont perfectionner l’automatisation des métiers à tisser ; citons les noms de Basile BOUCHON en 1725, de Jean-Baptiste FALCON (1728-1734) et de Jacques VAUCANSON qui en 1744 vient d’inventer puis améliorer un système d’aiguilles et de crochets sélectionnant au travers d’un carton percé de trous, la levée des fils de chaîne permettant la réalisation du motif. Au siècle suivant, JACQUARD, grâce aux améliorations de BRETON, mettra au point sa mécanique qui deviendra opérationnelle en 1817. Ces innovations techniques sont présentées au siège du Bureau de la Communauté, 1, rue Saint Dominique (rue E. Zola). Enfin, la Fabrique fait appel au savoir faire anglais en installant sur les métiers la « navette volante » inventée par John KAY en 1747 et en adoptant la technique du moirage de John BADGER, « recruté » par l’intendant BERTIN.

    - Et du côté des hommes, que se passe-t-il dans la communauté ?

    Le début du XVIIIème siècle est dominé par un conflit permanent entre les maîtresmarchands et les maîtres-ouvriers fabricants. Ces derniers cherchent à faire reconnaître leur statut d’artisan indépendant ayant le droit de vendre les étoffes qu’ils fabriquent.

    A ce moment, il y a encore trois classes de maîtres dans la Fabrique :

    1/ Les maîtres-marchands qui forment avec les banquiers une puissante oligarchie. Malgré leur titre, ils n’ont pas de formation technique et ont acheté leur droit de maîtrise. Ils sont désignés sous le terme de « gros marchands. » Ils sont environ cent cinquante.

    2/ Au milieu, il existe encore dans la communauté, un certain nombre de maîtresmarchands qui ne possèdent que leur atelier ; On les nomme les « petits marchands ». Les « gros marchands » leurs déclarent la guerre en les contraignant, s’ils veulent garder leur titre de marchand, de renoncer à leur atelier. (Arrêt 8.10.1731)

    3/ Enfin, les plus nombreux sont les maîtres-ouvriers « à façon » qui, comme leur nom l’indique, travaillent sur leurs propres métiers, pour les autres maîtres. Ils sont environ cinq mille.

    - Pouvons-nous évoquer le règlement de 1737 ?

    Oui, parce que ce règlement, composé de deux cent huit articles, fait figure d’exception dans les nombreux règlements qui parcourent l’histoire de la Fabrique. Pour l’obtenir, les « petits marchands » vont s’allier aux maîtres-ouvriers à façon contre les « gros marchands ». Comme on va le voir, ce règlement donne raison aux maîtres-ouvriers. Ainsi, les maîtres-ouvriers à la direction de la Communauté vont obtenir le même nombre de maîtres-gardes (4) que les marchands. (4) Ils vont avoir le droit de s’associer, de redevenir marchands et de vendre les étoffes qu’ils fabriquent sans avoir à payer le droit de 300 livres qui leur était imposé. Ils vont obtenir un dédommagement financier pour leurs « frais de montage » sur les métiers d’étoffes façonnées. Enfin, ce règlement évoque pour la première fois, le rôle des compagnons et celui des tireuses de corde dans l’’exécution des étoffes façonnées. Ce règlement qualifié « de progressiste » par les maîtres-ouvriers va déclencher de la part des marchands une vigoureuse protestation.

    - C'est-à-dire ?

    Ils vont obtenir un arrêt du Conseil d’Etat du roi révoquant le règlement de 1737, pour imposer le règlement de 1744, que les marchands vont établir sans consulter les maîtres-ouvriers. Ce règlement place les marchands à la tête de la Communauté. Sa publication va provoquer une émeute chez les ouvriers en soie, les compagnons et les tireuses de corde. Leur mouvement obtient l’abrogation du règlement de 1744 et le rétablissement des règles de 1737.

    Mais l’année suivante, le roi envoie à Lyon une armée commandée par le Comte de LAUTREC qui met la ville en état de siège et réprime les « meneurs. » Un crocheteur (porteur) du port est pendu ainsi qu’un ouvrier en soie Etienne MARICHANDER. Six compagnons sont condamnés aux galères dont l’un à perpétuité, François EXARTIER. Un climat de terreur règne dans Lyon. Le règlement de 1744 annulant les avantages de celui de 1737 est rétablit. Il restera en vigueur jusqu’à la Révolution.

    - Est-ce que l’on parle déjà du tarif ?

    D’une manière plus générale, des augmentations du prix des façons (la façon étant le prix payé par le donneur d’ordre au tisseur pour une longueur donnée de tissu réalisé, l’aune correspondant à 1,19 mètre) avaient été réclamées dès 1709. Pendant cette période, les tisseurs et compagnons furent réduits à la misère et à la mendicité du fait de la cherté des vivres et de « l’avilissement des façons ». Ils sont parfois contraints d’abandonner leurs enfants et de déménager sans payer leur loyer. Le tableau ci-après montre le déficit d’un budget familial présenté par un maître-ouvrier à façon en 1774. Il prouve sans conteste la nécessité d’augmenter les salaires.

    Après l’émeute de 1744, un second mouvement a lieu en 1786 à l’occasion du rétablissement d’une taxe sur le vin par l’archevêque de MONTAZET : c’est le prétexte de la révolte dite « des deux sous ». Les tisseurs en soie et les chapeliers se mettent en grève et revendiquent une augmentation de deux sous par aune tissée et la fixation d’un tarif général du prix des façons. Une révolte s’en suit, aussitôt réprimée par le jugement et la condamnation à mort de deux ouvriers chapeliers, Jean-Jacques NERIN et Pierre SAUVAGE. Dans le même temps, pour obtenir le calme, le Consulat accorde aux ouvriers en soie l’augmentation demandée. Mais trois semaines plus tard, selon un scénario bien établi, le Consulat obtient du roi un arrêt révoquant l’augmentation concédée.

    Cet arrêt, daté du 3 septembre 1786, précise que désormais, le salaire sera « réglé de gré à gré et à prix débattus entre le maître-fabriquant et l’ouvrier selon le temps, les circonstances, la nature des ouvrages et la capacité de l’ouvrier. » Ce texte royal proclamant une fausse liberté, va mettre en réalité les ouvriers en soie à la merci du fabricant : « c’est ainsi que depuis cette loi » disent-ils dans un mémoire adressé à NECKER, « on a vu plusieurs négociants contraindre l’ouvrier à travailler à moitié prix et forcer des pères de famille à travailler eux, leurs femmes et leurs enfants, dix sept à dix huit heures chaque jour, à ne pouvoir subsister sans recevoir les bienfaits des citoyens par les souscriptions ouvertes en leur faveur… ». Le 3 octobre, l’agitation pour le tarif reprend et les maîtres-ouvriers à façon prennent « le parti de convenir entre eux que pour VIVRE EN TRAVAILLANT il ne fallait ouvrer tels et tels genres d’étoffes qu’aux prix qu’ils déterminèrent. »

    L’auteur de ce texte est un maître-ouvrier tisseur, Denis MONNET qui avait été emprisonné après l’émeute des deux sous, de novembre 1786 à janvier 1787. Il est aussi sans doute l’auteur nous dit l’historien Fernand RUDE du « Mémoire des Electeurs fabricants d’étoffes en soie de la ville de Lyon » adressé au Directeur des finances Jacques NECKER dans le cadre de la préparation des Etats Généraux que Louis XVI avait convoqués pour la date du 5 mai 1789.

    - Quelle est la situation de la Fabrique à la veille de la Révolution ?

    En 1787, une grande crise provoquée par la disette des blés et des soies (gel des mûriers en France et en Italie) va mettre un terme à la bataille du tarif : cinq mille métiers sont arrêtés, plusieurs milliers d’ouvriers sont sans travail et le Consulat doit ouvrir une souscription publique. Cette longue crise va se prolonger jusqu’à la fin de ’année 1789.

    Cette crise s’alimente de deux autres causes. Un traité de libre échange passé avec L’Angleterre en 1786 qui laisse entrer en France les étoffes anglaises, et la mode des vêtements brodés ou imprimés comme les « indiennes » qui vont entrainer une baisse de production des tissus façonnés. La Fabrique lyonnaise va devoir développer sa production d’unis et les marchands, profitant d’une main-d’oeuvre abondante, vont imposer une diminution des prix des façons.

    Dans cet esprit, voici les recommandations que dispensait, dans un mémoire de 1786, le Conseiller de la Chambre Royale des Manufactures, Monsieur MAYET : « Pour assurer et maintenir la prospérité de nos manufactures, il est nécessaire que l’ouvrier ne s’enrichisse jamais…. Que dans une certaine classe du peuple, trop d’aisance assoupit l’industrie, engendre l’oisiveté et tous les vices qui en dépendent….. Personne n’ignore que c’est principalement au bas prix de la main-d’oeuvre que les fabriques doivent leur prospérité….Il est donc très important aux fabricants de Lyon de retenir l’ouvrier dans un besoin continuel de travail, de ne jamais oublier que le bas prix est avantageux en rendant l’ouvrier plus laborieux, plus réglé dans ses moeurs, plus soumis à leurs volontés… »

  • - Que peut-on-dire de la Révolution ?

    Cette période est riche et complexe. Voici quelques éléments qui nous ont paru essentiels. Tout d’abord, vu d’une façon générale, Lyon ne se distingue pas d’autres villes de France comme Bordeaux, Toulon ou Marseille et nous pouvons retenir pour l’image, la prise de la bastille lyonnaise, le château de Pierre-Scize, symbole de l’absolutisme lyonnais et prison d’Etat. Nous pouvons en voir ci-joint l’image qu’en fait l’idéologie révolutionnaire.

    - Quelle est la particularité lyonnaise ?

    Elle est originale en ce sens où, dans cette ville manufacturière, l’antagonisme entre ouvriers et marchands est devenu irréductible au point de rendre impossible toute alliance entre les deux classes. Ici, la grande bourgeoisie d’affaires, les négociants, les marchands, étroitement liés aux propriétaires fonciers de l’ancien régime, n’ont d’autres choix, pour contrer le mouvement populaire porteur de profonds changements sociaux, que de s’unir à la noblesse. Ce mouvement contre-révolutionnaire va décider les troupes de la Convention à entreprendre le siège de Lyon.

    - Cette période de troubles va-t-elle différer la bataille pour le tarif ?

    Non, les tisseurs vont poursuivre leur objectif du tarif et le conseil du roi en accepte le principe, mais les marchands y font opposition. En 1790, ce tarif est déclaré exécutoire par la municipalité de Lyon nouvellement élue en ces termes : « ici où la misère lutte presque toujours contre la richesse, il faut nécessairement que la loi se prononce. » Le 5 mai 1790, trois mille cinq cents ouvriers se réunissent dans la cathédrale Saint Jean sous la présidence de leur dirigeant Denis MONNET. Ils constatent le refus des marchands de participer à la mise en place d’un tarif et décident « de se régir et de se gouverner par eux-mêmes ». Les maîtres-gardes en exercice démissionnent, et quatre autres sont élus, dont Denis MONNET, à l’unanimité. Ainsi « en arrachant le tarif au Conseil du Roi, en brisant le corset du système corporatif, en voulant profiter des principes des droits de l’homme et du citoyen, c’est déjà le syndicalisme que préfiguraient Denis MONNET et les militants ouvriers de l’époque révolutionnaire. » nous dit Fernand RUDE. En octobre 1792, les maîtres-ouvriers se réunissent encore pour demander une revalorisation du tarif de 1790 au regard de « la cherté des subsistances ». A l’entrée de l’hiver, quatre mille ouvriers en soie signent une pétition adressée « aux citoyens, maire et officiers municipaux de la ville de Lyon » en précisant : que la liberté ne devrait pas permettre à une partie de la société d’égorger l’autre, en lui disant : tu ne mangeras qu’une telle quantité de pain ! ». Le 16 janvier 1793, ils obtiennent 30% d’augmentation. « Ainsi les ouvriers n’avaient cessé, conclut Fernand RUDE, de se préoccuper de leurs intérêts communs ».

    - Dans quel état est la Fabrique ?

    Elle est désorganisée et très mal en point. La soie ne fait pas bon ménage avec la Révolution. Les clients ont disparu et des ouvriers, des dessinateurs et des marchands quittent la ville. De nombreuses faillites sont déclarées. Sur dix huit mille métiers comptés en 1787, il ne reste en activité que deux mille cinq cents métiers d’unis et deux cent cinquante de façonnés.

    - Que deviennent les règlements ?

    Il n’y en a plus. Le décret ALLARDE de 1790 avait aboli les maîtrises et les maîtresgardes propres au régime corporatif, et la loi LE CHAPELIER va interdire, au nom du libéralisme, les coalitions et limiter le droit d’association.

    - Que fait la communauté en cette fin de siècle ?

    Elle réclame de nouveaux règlements qui garantissent une organisation et lui évite, en principe, les débordements. Mais le gouvernement les refuse « au nom du libéralisme ! ».

  • - La communauté va-t-elle trouver une solution pour combler ce vide institutionnel ?

    Oui, en créant des institutions qui vont prendre appui sur les structures anciennes :

    - Création de la Chambre de Commerce en 1802, laquelle va devenir le principal organe de la Fabrique

    - Création du Conseil des Prudhommes, en mars 1806, à la demande de la Chambre du Commerce, où le décret signé de Napoléon Ier proclame : « il sera établi à Lyon un Conseil de Prud’hommes composé de 9 membres, dont 5 négociants-fabricants, et 4 chefs d’atelier ».

    Cette même année, on voit resurgir le livret d’acquit, haï des ouvriers qui le dénoncent comme instrument de contrôle et de surveillance de leurs mouvements, de leurs employeurs et de leurs comptes.

    - Création, en 1805 d’une Condition des Soies unique. Un bâtiment sera édifié rue Saint Polycarpe.

    - La production de soieries va-t-elle reprendre en ce début du XIXème siècle ?

    Oui, avec les commandes de Napoléon, de Louis XVIII, de Charles X et avec la mise au point de la mécanique JACQUARD (en réalité VAUCANSON-JACQUARD-BRETON). Ce perfectionnement technique va supprimer la tâche des tireuses et tireurs de lacs (cordes). Il va améliorer le rendement des façonnés, mais ne va pas améliorer les conditions de travail de l’ouvrier. Il semble que la mécanique JACQUARD avait pour objectifs de pallier à la pénurie de main-d’oeuvre des tireurs –tireuses de lacs et d’augmenter la productivité des tissus façonnés.

    La mise en concurrence à l’intérieur de la Fabrique d’un plus grand nombre de fabricants détériore les conditions de vie des tisseurs : entre 1810 et 1830 le prix payé à l’aune tissé est divisé par deux pour les unis, et par trois pour les façonnés !

    - Quelle est la composition de la Fabrique ?

    A la veille de 1830, il y a entre sept et huit mille chefs d’atelier (mot nouveau au XIX siècle), quarante mille compagnons, et cinq à six cents négociants-fabricants, (le mot fabricant a changé de camp). Bien sûr il y a aussi les apprentis et les « auxiliaires », souvent des enfants qui effectuent des tâches diverses et utiles (par exemple le canetage). Les chefs d’atelier sont des ouvriers particuliers puisqu’ils sont propriétaires de leurs métiers. Mais ce ne sont plus vraiment des artisans puisqu’ils n’achètent pas les matières premières, ni ne revendent les produits qu’ils fabriquent. Ce sont des hommes cultivés, qui savent s’unir lorsqu’il le faut, et défendre leurs acquis. Les compagnons font partie d’une population flottante, changent souvent d’atelier, et sont issus, pour une bonne partie d’entre eux, des régions avoisinantes, dont un tiers de la Savoie piémontaise. Leur situation est précaire. Souvent célibataires, ils louent leurs bras au chef d’atelier qui les emploie. Ils ne possèdent pas de métiers, et peu d’entre eux accèderont à la maîtrise. Ce sont les prolétaires de la Fabrique.

    - Sont-ils organisés ?

    Oui, surtout les chefs d’atelier qui sont plus instruits que leurs compagnons. C’est parmi eux que va naître le MUTUELLISME, avec la création en 1827 du « DEVOIR MUTUEL » par le chef d’atelier, Pierre CHARNIER. C’est une société secrète (compte-tenu de l’interdiction de réunion) de secours mutuel et d’entraide. Elle s’occupe de prêts d’outils, de placement de compagnons, de l’entraide lors des accidents, maladies ou décès. Elle lutte contre les abus et refuse la charité. Elle va donner à ses membres le sens de l’organisation et servira de cadre à la révolte de 1831.

    - Et les compagnons ?

    Ils vont eux aussi s’organiser, mais plus tard, pour constituer en février 1832 la Société des Compagnons Ferrandiniers, du nom d’un tissu de soie et de laine, la ferrandine.

    - Le tableau peint en 1831 par DELACROIX, « La liberté guidant le peuple », représente une scène de la révolution de juillet 1830 à Paris. Mais que s’est-il passé à Lyon ?

    Les marchands-fabricants libèrent leurs ouvriers de leurs travaux pour qu’ils puissent aller manifester sous le drapeau tricolore en leur affirmant que la chute de Charles X « augmenterait leur liberté et réduirait leurs souffrances ». Pour arracher les pavés de la place des Terreaux et dresser les barricades « il fallait des mains calleuses » dit la chronique. Mais cette association entre la bourgeoisie et les ouvriers sera de courte durée. Dès le. début de l’année 1831, on peut lire sur des affichettes placardées : « Le bandeau tombe enfin de nos yeux. Le prestige des couleurs n’a qu’un temps et la liberté sans pain ne nourrit pas nos familles ». Ces mots disent bien la crise que connaît la Fabrique depuis 1827 : en effet, onze millemétiers sont arrêtés à la veille de la révolte. C’est une crise générale qui atteint toute la France et plusieurs corps de métier ; à Lyon, les chapeliers, les charpentiers, les menuisiers et les maçons se mettent en grève. En Europe, le peuple belge conquiert son indépendance et les Polonais se dressent contre l’occupation russe.

    - Comment les ouvriers en soie vont-ils affronter la crise ?

    En revendiquant une nouvelle fois, mais avec plus de force, un tarif minimum du prix des façons. Pour cela, les chefs d’atelier inventent un nouvel outil et vont créer en octobre 1831 un journal à leur mesure intitulé « l’Echo de la Fabrique ».

Précédent
Précédent
3 juin

Conférence par Jean-Yves Quay, architecte-urbaniste

Suivant
Suivant
17 novembre

Exposition sur les révoltes de 1834